Apparence & Style: Est-ce que cela vous semblerait prétentieux si je disais que physiquement Irina est parfaite ? Oui, sûrement. C'est pour cette unique raison que je vais simplement dire qu'elle ressemble incroyablement à sa mère. Naturellement blonde, un beau blond doré qui renvoie de jolies étincelles sous le soleil, avec de grands yeux bleu saphir qui trahissent souvent ses pensées même lorsqu'elle ne pense pas vraiment. Ses cheveux, qui paraissent lisses après qu'elle ait prit le temps de les coiffer, ne se gênent pas pour onduler à la moindre présence d'humidité. Son teint de porcelaine confirme sans aucun doute ses origines nordiques même si, à cause de son petit accent, personne n'en a jamais douté. Autre élément important de son visage, son sourire. Sourire rêveur lorsqu'elle est seule, ou en tête à tête avec son appareil photo. Sourire ailleurs quand ce que vous lui racontez ne l'intéresse pas du tout. Sourire distrait lorsque son esprit vagabonde dans un monde dont elle seule a le secret. Et sourire ravageur quand celui-ci est adressé à quelqu'un en particulier. Plutôt grande et mince, elle ne s'amuse pourtant pas, comme la plupart des demoiselles de son âge, à jouer avec sa silhouette en enfilant des talons pour se rajouter une dizaine de centimètres. Justement, parlons de son style. Adepte des tenues simples et sans prises de têtes, son armoire contient surtout des jeans slim dans lesquels elle est plutôt à l'aise, quelques t-shirts dont les formes sont plutôt basiques et parfois, si on cherche bien, on peut trouver une ou deux jolies robes qu'elle n'aura mis que deux fois dans sa vie. Elle préfère les chaussures plates, très confortables, aux hauts talons, très glam'. Le maquillage ? Bon ça, elle ne s'en prive pas, elle aime bien et ça l'aide à se sentir mieux dans ses baskets. Que dire de plus ? Sur ses bras, pas d'anciennes marques d'un passé peu glorieux, juste quelques vieux bracelets qui permettront, lorsqu'ils tomberont, de réaliser quelques-uns de ses vœux les plus chers.

Caractère: Vous l'aurez sûrement compris, Irina n'est pas le genre de fille lunatique, qui se prend la tête avec des histoires sans queues ni têtes. Et justement, elle est peut-être un peu trop détachée de ce qui l'entoure et toutes ces histoires qui semblent déchaîner les foules l'intéressent rarement. Loin d'être comme toutes ces personnes qui signalent leur présence par un ton trop fort ou un rire indiscret, elle reste en général à l'écart, arpente les couloirs de la fac et les chemins des parcs pour trouver le moment idéal à immortaliser. Pourtant elle fait des efforts, si vous avez de la chance vous pourrez avoir une conversation complète et animée avec la jeune fille. Mais en général, beaucoup abandonnent avant d'avoir réussi à l'intéresser et à lui donner envie de répondre. On lui a souvent dit qu'elle regardait le monde plus souvent à travers l'objectif de son appareil que par ses propres yeux, et c'est sûrement vrai. Et pourquoi la photographie ? Parce qu'emprisonner un moment unique sur un bout de papier la fait frissonner, parce qu'elle aime combler les failles de sa mémoire en retrouvant une jolie image. Et surtout parce que pour elle les bons moments ne sont qu'éphémères alors il est indispensable d'en garder une trace. Mais attention, discrétion ne rime pas avec froideur. Au contraire, Irina est toujours souriante et même lorsque les événement de sa vie ne le justifie pas toujours, elle paraît heureuse. Mais trop peu savent ce qui se cachent derrière ce joli sourire rêveur. Ceux qui ne la connaissent pas diront qu'elle a un air de débile ahurie, ceux qui croient la connaître diront qu'elle est simplement heureuse de vivre, mais ceux qui la connaissent sauront répondre avec exactitude que son sourire est la preuve que parfois, rien ne va comme elle le veut. Imagination trop débordante, elle s'est construit un monde imaginaire ou tout est comme elle l'a toujours rêvé. Pas facile à cerner la Norvégienne. On lui a souvent répété qu'elle était plutôt faite pour la peinture que pour la photographie, elle a toujours répondu qu'elle peignait la réalité. En résumé, c'est une jeune fille simple qui n'apporte aucune importance au jugement des autres, une jeune fille qui cache bien son jeu derrière un regard perdu dans le vide et un sourire toujours présent. Chercherez-vous à savoir ce qui ce cache derrière cet apparent tableau sans couleurs froides ? L'avenir nous le dira.

C'est sous le doux soleil d'été de la Norvège du sud, dans la jolie ville d'Halden, qu'Irina a vu le jour. Bon, en fait, théoriquement, la première chose qu'elle a vu, c'est l'infirmière qui lui a fait poussé son premier cri. Ensuite, c'est le regard se son papa qu'elle a croisé. Son papa mort de trouille, blanc comme un linge, se tenant à ce qu'il pouvait pour ne pas défaillir. Et puis elle fit connaissance avec sa maman, Ivanna. Epuisée par le travail qu'elle venait de fournir et par celui qu'elle avait fourni pendant neuf mois pour faire grandir ce petit être qui désormais n'avait plus besoin de la cachette douillette qu'il s'était approprié dans son ventre. Le prénom avait été choisi il y a plusieurs mois, parce qu'Irina signifie paix, et ses parents en avaient bien besoin.
La paix... C'est ce que le père d'Irina désirait plus que tout au monde. Que sa femme lui foute la paix quand il rentre trop tard à son goût le soir, ou qu'elle arrête de lui demander qui est au bout du fil alors qu'il est en conversation privée. Et Maud était d'accord avec ça, elle aussi voulait qu'Ivanna laisse son mari respirer, respirer son parfum, respirer ses draps... Maud était la secrétaire du père d'Irina, mais elle était surtout sa maîtresse, son premier amour de jeunesse. Ne nous étalons pas sur le sujet, mais le père d'Irina, et mari d'Ivanna ne voulait plus être ni l'un ni l'autre, il voulait juste Maud. C'est pourquoi un beau matin, il a prit ses valises alors que son ex-femme prenait sa douche et que sa fille réclamait son biberon.
Pas facile d'avoir un père qu'on a jamais vraiment connu et qui n'a jamais voulu nous connaître. On ne sait pas comment l'appeler et alors que le premier mot qu'on est censé dire est « Papa », on dit « Mama ». Papa ne sera alors connu que sous le nom « Celui-qui-a-lâchement-abandonné-sa-famille-alors-que-sa-fille-ne-faisait-pas-ses-nuits », prénom que l'on ne sais pas dire avant l'âge de quatre ans. Et il est dur d'aller à l'école, de rencontrer des gens qui ont un papa qui vient les chercher le soir alors qu'on a seulement un inconnu qui a quitté la maison il y a bien longtemps, et personne ne peut comprendre.
Alors on se cherche de nouveaux amis, on ne parlent plus à ceux qui de toutes façon vous prenne pour une folle. Ben oui, c'est impossible de pas avoir de papa. Mais ceux qui comprennent ne croisent pas votre route et voilà, c'est comme ça qu'on se retrouve seul. C'est comme ça qu'Irina s'est retrouvée seule. Et Irina, lorsqu'elle était seule, elle pensait. Elle pensait à un monde parallèle où son papa était encore à la maison et embrassait sa maman avant de partir au travail. Elle pensait à un monde où tout le monde l'aimait et où personne ne la traitait différemment, ou ne pensait qu'elle était folle. Et bizarrement, dans ce monde là, les couleurs étaient plus vives, et chaque moment était plus intense. Et personne ne pouvait comprendre pourquoi elle avait tant de mal à s'intéresser à la réalité qui l'entourait, sauf maman. Maman, elle portait beaucoup d'importance au monde d'Irina, elle pensait qu'il était indispensable qu'elle s'imagine une enfance radieuse pour pouvoir évoluer comme les autres. C'est pourquoi, un jour, elle lui a sortit un très vieil album photo.

« Je m'en souviendrais toute ma vie. Ce soir là, il neigeait et la clarté de la lune se reflétait dans le coton blanc qui avait recouvert le jardin. Il faisait froid et maman avait allumé un feu de cheminée pour que j'arrête de trembler. J'avais six ans quatre mois, neuf jours, huit heures et cinquante-deux minutes. Elle a sortit un gros livre poussiéreux d'un carton qui avait passé les six dernières années au grenier. Elle a ouvert la première page et je l'ai tout de suite reconnue. Maman. Elle avait dix ans de moins et un sourire en plus. Elle était grande, blonde, belle et sûre d'elle. Elle montrait fièrement une jolie bague à celui qui prenait la photo. Elle était seule mais son regard trahissait le fait que celui qui tenait l'appareil photo était bien plus qu'un photographe. Sur la photo suivante, il y avait un garçon qui embrassait maman. C'était papa. Ce jour-là, maman avait vingt-deux ans, un fiancé et une bague pour en témoigner. Il y avait des centaines d'autres photos, témoignant d'un amour passé et d'un passé rempli d'amour. Et c'est là que j'ai compris. Une photo, c'est un instant que l'on conservera toujours quelque part pour qu'un jour on puisse le revivre ou le faire vivre. Une photo, c'est un instant volé au passé. »

Le Noël suivant, Irina demanda un appareil photo au Père Noêl, celui-ci lui en apporta un, posé sur un album photo vierge.
Irina grandit, et son monde aussi. Elle avait enfin un visage à mettre sous le prénom de son père, et elle s'imaginait, avec un petit frère ou deux sœur jumelles. En cours elle ne suivait pas, les maths ne l'intéressaient pas, seuls les cours d'optique captaient son attention. Et aussi les cours d'arts plastiques. Un jour, pour leur faire plaisir, leur professeur invita un photographe américain, de passage en Norvège, pour leur parler de son métier à elle et sa classe. Il était de vingt-ans son aîné. A la fin du cours, elle n'a pas pu s'empêcher d'aller le voir pour lui parler encore, elle avait adoré l'écouter pendant une heure et aurait aimé que cela ne s'arrête jamais. Ils ont parlé, parlé. Certains des camarades d'Irina semblaient découvrir qu'elle n'était pas muette. Ce photographe est le seul à avoir compris ce qu'elle vivait, et pourquoi elle s'était réfugié dans la photographie, à croire qu'il avait vécu la même chose. Elle est tombée folle amoureuse de lui en une heure et demie, mais il était toujours de vingt ans son aîné.
Autrefois, il vivait aussi en Norvège, mais il avait tout quitté pour New-York, parce que pour lui, rien ne vaut New-York. Impossible de ne pas croiser un joli moment à photographier. Et il aimait la ville pour tous ces gens pressés. Ces gens pressés qui rajoutent de l'intensité à chaque scène, comme un couple qui s'embrasse en plein milieu de la rue, comme si rien d'autre n'existait. Et Irina se jura d'aller un jour à New-York.
Le beau photographe disparu de sa vie, mais jamais de sa mémoire. Souvent elle pensait à lui. Les élèves de sa classe montrèrent un soudain intérêt pour elle, comme si le fait qu'elle sache finalement parler les poussait à aller vers elle, comme si une fille bavarde était plus intéressante qu'une fille qui ne parlait pas. Et justement, elle ne répondait pas, ils ne s'exprimaient pas comme ce photographe qui avait réussi à retenir toute son attention. Parfois quand ils devenaient trop envahissants, elle leur demandait de la laisser et ils riaient. Qu'est-ce que sa voix pouvait bien avoir de si drôle ?
Au lycée rien de changea, en tout cas pour elle. Parce qu'elle resta dans son coin, se fichant pas mal de ce que les autres pensaient. Mais les autres ne pensaient rien d'elle, juste qu'elle était bien trop différente pour être intéressante. En fait... Quelque chose avait changé. Depuis la visite du photographe, en plus des cours d'anglais au lycée, elle en prenait chez elle en particulier. Et ça, ça l'intéressait, parce qu'au bout de ça, il y avait New-York. Maman était d'accord avec cette idée. En fait elle était d'accord avec tout tant que sa fille était heureuse et qu'elle lui rendait visite le plus souvent possible. Et c'est bac en poche et appareil à la main qu'un jour, la norvégienne débarqua à New-York. Elle enchaîna petits boulots sur petits boulots pendant deux ans, et c'est grâce à cela qu'elle réussi à s'offrir une place dans une université comportant des cours en photographie.