Je n'étais pas le genre de professeur fouineuse que tout le monde craignait pour sa sévérité et sa manie de chercher des vices chez tout les élèves, considérant chaque regard un peu appuyé ou groupes silencieux suspect. Mais cette fois-ci, j'en étais persuadée, il se tramait quelque chose. Je n'étais pas non plus du genre à avoir les oreilles qui traînaient dans les coins des couloirs, mais ils auraient aussi pu être un peu plus discrets.

J'étais à la bibliothèque, songeuse, étudiant encore et toujours des livres plus gros les uns que les autres. J'étais maintenant à Eroda depuis un an, sous l'aile de Camus, qui j'ose dire, me sauvait vraiment la mise parfois. J'étais un peu (carrément) trop laxiste avec les élèves, et certains en profitaient bien. Je le savais parfaitement, mais j'étais strictement incapable d'y faire quelque chose. Je pensais avoir juste besoin de temps, mais je trouvais tout même que ça traînait en longueur. C'était bien gentil d'étudier sans arrêt, mais si j'étais incapable de tenir une classe correctement, je ne tiendrais sûrement pas très longtemps en tant que professeur autonome.

Pour l'instant, je n'arrivais pas à me concentrer sur ma lecture. Quelques heures auparavant, dans la matinée, j'avais entendu un groupe d'élèves que je ne connaissais que de réputation parler d'une petite virée à la maison hantée située au fond du parc, dans la soirée. Une certaine virée un peu tardive, vers minuit. Peut-être qu'ils voulaient juste se fiche une belle trouille un bon coup, ou se la jouer gros durs, il y avait tout de même pas mal de règle depuis les derniers évènements qui ne leur permettaient pas ce genre liberté. Je me sentais obligée d'intervenir, d'une part pour leur sécurité, d'autre part parce que leurs intentions pourraient être un peu plus évoluée que simplement puériles.

J'hésitais à en parler à Camus. Ou même à un autre professeur. Ils me diraient tous que je me faisais des idées. Mais ils devraient également savoir que lorsque je considérait nécessaire d'intervenir auprès d'élèves, moi, c'est que ça devait être tout de même assez sérieux. Bon, j'admets que concernant l'intention de ces élèves, je n'y connaissais rien, mais j'étais au moins sûre d'une chose : qu'ils allaient s'aventurer en pleine nuit dans le parc.

Je fermai subitement le livre que je lisais sans lui prêter attention, et alla le reposer d'un pas certain. C'était décidé, j'allais me rendre au fond du parc cette nuit. Il était temps que je m'affirme un peu, et même si je savais rarement m'imposer, être professeur imposait un certain respect chez les élèves. Certes pas tous, et sûrement pas ce genre-là, mais cette fois, je saurai comment m'y prendre.
***


Il était déjà minuit. J'avais attendu, allongée dans mon lit, vêtue d'un slim et d'une marinière par-dessus laquelle j'avais enfilé un sweat zippé au vu de la fraîcheur qui risquait de s'installer une fois le parc plongé dans l'obscurité. Je me levai, enfilait de petites tennis, m'emparai d'une lampe torche (eh non, je ne maîtrise pas le feu moi, et dans une maison hanté, ce n'était pas comme si c'était facile de trouver un interrupteur...) que garderai éteinte jusqu'à avoir rejoint la maison hantée, histoire de ne pas attirer la foule.

Je quittai la pièce et traversa silencieusement l'école jusqu'à la sortie. Le parc était tout à fait noir, et on distinguait à peine la silhouette de la maison vers laquelle je me dirigeai. Au fur et à mesure que je me rapprochai, je distinguai une très faible lumière mouvante à travers une des rares fenêtres encore intactes de l'étage. Je m'approchai prudemment et toujours aussi silencieuse de la porte d'entrée. La serrure était complètement hors d'état, et j'eus juste à pousser la porte pour qu'elle s'ouvre sur une entrée plongée dans le noir.

Dans le genre maison hantée, c'était vraiment pas mal, tout grinçait comme sur une vieille caravelle ballotée par les vagues en plein large. Je sentais un léger courant d'air au niveau de mes chevilles et la porte d'entrée se referma derrière moi avec un léger grincement. Ouh, glauque la maison. J'allumai ma lampe torche et scrutai la pièce, qui semblait vide, mais la brise qui s'infiltrait par les carreaux brisés ressemblait plus à un murmure constant qui résonnait aux quatre coins de l'entrée. Je n'avais pas l'intention de passer la nuit là, dans une pièce aux murs décrépis, aux plinthes à moitié décollées, qui pourraient abriter nombre de bestioles que je haïssais.

Sur ma gauche, un vieil escalier qui semblait sur le point de s'écrouler se dressait, frêle, tout aussi grinçant que le reste, et pourtant assez imposant. Il était large, à la rambarde écroulée ou rongée par endroit, sculptée avec grand soin. Je le montai, longeant le mur. A mi-chemin entre le rez-de-chaussée et le premier étage, je m'arrêtai, intriguée par des voix. Il s'agissait bien des élèves, et ils se trouvaient dans la pièce au fond du couloir. Une large fente dans la moitié inférieure de la porte laissait voir un faible raie de lumière. Je finis de monter les escaliers, proche du but, et éteint ma lampe torche. Leur lumière suffisait à m'éclairer à peu près le passage. Et je serai plus discrète.

J'eus à peine atteint le couloir que je marchai sur quelque chose de pointu qui émit un bruit de verre lorsque je retirai brusquement mon pied.

- Ow ! murmurai-je sans pouvoir me retenir.

Je dus rallumer ma lampe torche pour regarder sur quoi j'avais posé le pied. Des fragments de miroir traînaient là, et le cadre gisait au pied du mur à ma gauche. Heureusement pour moi, j'avais retiré mon pied à temps pour ne pas m'entailler. Une fois l'obstacle franchi, j'éteins à nouveau ma lampe, pour m'apercevoir que la lumière dans la pièce à côté avait disparu, et que les voix s'étaient tues. M'auraient-ils entendue? Je faisais sans arrêt ce genre de boulette. Je rejoignis la pièce et ouvris lentement la porte, prête à réagir. Par précaution, j'avais laissé ma lampe torche éteinte. La pièce était silencieuse, et à peine éclairée de l'extérieur par la lune et les lumières provenant de l'école. Ils avaient visiblement déserté les lieux.

Soudain, alors que je m'avançai dans la pièce, la porte s'ouvrit à nouveau derrière moi, que je sentis par un léger grincement accompagné par un courant d'air. Je me retournai, sur le qui-vive, ne distinguant rien mis à part une ombre dans l'encadrement obscur de la porte, qui s'avança vers moi. Je reculai, tendue. Je ne savais pas que mon cœur pouvait battre aussi vite. Mon souffle restait bloqué dans ma gorge. Alors que je reculais, je heurtai ce qui me sembla être une table basse, à priori pas très solide. Trop tard. Je basculai en arrière en criant, et sous mon poids, la table s'écroula, puis je m'effondrai avec elle dans un nuage épais de poussière. Ma lampe torche m'avait échappé des mains et s'était allumée en heurtant le sol.