Je déambulais dans les rues de ma petite ville natale, Ekaterinbourg. L'air frais de ce mois de mai me mordait les joues et les lèvres, croquant ma chair qui se refroidissait peu à peu. Une bourrasque de vent frisquet s'insinua sous ma veste et parcourut mon échine d'un frisson, même à travers mon pull. Malgré avoir vécu toute ma vie en Russie, cela n'épargnait pas ma condition de frileuse. Je resserrai un peu plus ma veste autour de mon corps frêle et continuai ma route, plissant les yeux à travers le vent pour distinguer les silhouettes des passants et des bâtiments. La nuit était tombée depuis 5 bonnes heures maintenant, et seuls les rayons blafards de la lune éclairaient mon chemin. Le vent chaud qui sortait de mes lèvres s'évaporait dans l'air froid de la nuit dans un petit nuage gris. Un nouveau frisson me parcourut et je ne pus m'empêcher de claquer des dents. Si je ne trouvais pas un abri, j'allais mourir frigorifiée, c'est sûr. Mais jusqu'à présent je m'en étais toujours sortie. Coup du sort où force de ma volonté ? Ça je n'en savais rien, un peu des deux peut-être...
Je fus coupée dans mes pensées, car mon crâne venait de heurter quelque chose de mou et de chaud. Douce chaleur contre laquelle je me serais volontiers blottie. Je levai la tête vivement et découvrit le haut du torse d'un homme, juste en face de mon nez. Je fis quelques pas en arrière, trébuchant sur la valise que je tenais à bout de bras. Des doigts fermes emprisonnèrent mon poignet et m'empêchèrent de tomber à la renverse sur les dalles dures et froides du trottoir. Je relevai le menton et croisai le regard du jeune inconnu qui m'avait soutenue. Ses prunelles marron foncé, presque noires plongèrent dans les miennes. Je détachai les miennes et le dévisageai. Ses fins sourcils noirs étaient froncés au dessus de ses prunelles plissées. Je glissai mon regard le long de son nez fin, jusqu'à ses lèvres fines, légèrement pincées. A vue d'oeil, je lui donnais 19/20 ans, a peu près comme moi. Sa voix rocailleuse trancha le silence de la nuit. « Вы - хорошо? (Vous allez bien ?)» s'enquit-il. Le ton de l'inconnu était emprunt d'une étrange once d'inquiétude, qui perçait à travers ses paroles hachées. « Да, да, спасибо (Oui, oui, je vous remercie.) » répondis-je, d'un ton mal assuré. Pourquoi ce bel Adonis m'avait rattrapée, alors qu'il aurait pu me laisser choir et continuer son chemin ? Après tout je traînais dans un coin malfamé, si cet homme avait des intentions obscènes... Je me reculai du jeune homme, méfiante, et empoignai ma valise fermement. Il ne manquerait plus qu'on me la vole... C'était mon seul bagage. Je trimbalais mes papiers d'identité, un peu d'argent, que j'avais dérobé à mon père et mes affaires. Apercevant la lueur de méfiance qui brillait dans mes yeux, le jeune homme desserra l'étau que formais ses doigts autour de mon poignet sans pour autant l'ôter et son regard s'adoucit, avant que ses lèvres ne dessinent un petit sourire, bienveillant. Je me laissai berner par la douceur que dégageait le jeune homme et attendit, patiemment. Qu'est ce que j'attendais ? Je ne sais pas. Je me contentais de plonger mon regard dans celui du jeune homme et de tenter de percer ses intentions. Sa voix s'éleva à nouveau dans l'air, tintant comme une mélodie à mon oreille. « Мое название - это Grigori. (Je m'appelle Grigori.)» me dit-il, sur un ton détaché. Il ne détacha pas sa main de mon poignet et fit quelques pas sur le côté, en me faisant un petit signe de tête pour m'inciter à l'accompagner. J'attendis, médusée et je me décidai à lui dévoiler mon prénom. « Ludmilla. » lâchai-je. Le sourire de Grigori ne ce fit que plus large et celui-ci ne me quitta pas du regard, accrochant ses prunelles au miennes, comme il le faisait avec ses doigts sur mon poignet. Il attendait, patient, que je le suive. J'étais réticente, mais après tout, qu'est ce que je risquais ? C'est moi qui étais tombé dans cet endroit malfamé, et c'est moi qui en assumerais les conséquences, pour la première fois de ma vie.

fordham rocks.