« Tout est de ta faute Lennon ! C’est toi qui as foutu la merde, qui a tout bousculé. Si seulement t’étais pas rentrée dans nos vies il serait encore là aujourd’hui. Si seulement t’étais pas rentrée dans ma vie, je l’aurais jamais trahi. Il se serait pas planté avec sa putain de moto. C’est toi qui as tout détruit, tout est à cause de toi. » Ces mots raisonnaient dans mon crâne avec fracas, venaient s’accrocher à ma chair et libérer de vieux démons. Sortis de sa bouche ils avaient eut comme un goût de poison prononcé, ils étaient comme un acide meurtrier, une tempête dévastatrice qui venaient tout détruire sur son passage, qui venaient, d’un revers de la main réduire à néant tous les efforts, et aussi futiles furent-ils, que j’avais fourni afin d’essayer d’être heureuse. A essayer de passer au dessus de tout ça, à essayer d’oublier qu’au fond, si je n’étais pas rentrée dans leurs vies, rien ne ce serait pas passé ainsi. On passe tous son existence à regretter quelque chose, un moment, une personne. Pour ma part, mon plus grand regret se prénomme Kent, ou plutôt se prénommait. J’ai passé des mois à me demander si au fond tout cela n’était pas de ma faute, si Kent ce serait tout de même planté si ce soir là j’avais retenu Louhàn, ou si je n’étais jamais venue les voir l’année de mes dix ans. Tant de questions qui me hantaient et qui venaient d’être confirmer par la voix de celui que j’avais au fond, toujours aimé.
C’était la première fois que Louhàn parlait de Kent depuis sa mort, et c’était lorsque nous nous étions retrouvés devant le cimetière que l’expression de son visage avait changé. J’avais pressenti son mal être, mais j’étais persuadée de pouvoir l’aider à passer outre. Je pensais capitale le fait que nous lui rendions visite. Il faut dire que depuis son enterrement je n’avais jamais trouvé le courage d’y aller et je doutais fortement que Louhàn ait été plus courageux que moi. Il était rapidement rentré dans une colère noire, incontrôlable, d’une de ses colères dans lesquelles je ne l’avais encore jamais vu pénétré. Et rapidement un flot de mots offensifs et dégoulinants d’une sincérité destructrice s’était déversé de sa bouche. Je n’avais alors ni trouvé le moyen ou le courage de le couper, j’étais simplement restée là, à l’écouter. A subir en silence chacun des coups que ses paroles m’infligeaient, jusqu’à ce que sonne le mot de la fin. Alors, je n’avais rien dit, car en réalité je n’avais rien à dire. Il avait raison et quoi que j’aurais pu trouver à répondre aurait sonné faux ; je m’étais simplement contentée de partir.
Des lourdes larmes dévalaient le long de mes joues, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit pour remédier à mon incontinence oculaire. J’étais perdue tout en sachant où je me trouvais ; je ne savais plus quoi faire, ni où me rendre. Tout s’était effondré, tout ce que j’avais essayé de fonder avait disparu et j’avais l’impression de tomber, en chute libre. C’était comme si mon corps était inlassablement attiré vers le sol. J’avais l’impression de revenir quatre ans en arrière, lorsque seule la solitude et la culpabilité rythmait ma vie, sauf qu’aujourd’hui la seule personne qui avait toujours compté pour moi, la seule encore là à présent venait de confirmer mes doutes les plus profonds, mes convictions les plus douloureuses. J’avais envie de partir, de fuir tout ce qu’il y avait autour de moi. De m’éloigner le plus possible de sa dépouille aujourd’hui dévorée par les verres, les asticots, par le temps. Partir, simplement partir, c’était tout ce que je désirai. Je fis alors un geste inexpliqué, je sortis mon téléphone et demandai à Andras de venir me chercher. Je ne savais pas pourquoi m’étais adressé à lui particulièrement, peut-être car j’avais simplement l’impression qu’il serait la seule personne en face de qui j’aurais le courage de me montrer, la seule personne qui pourrait peut-être m’aider à m’échapper. Rapidement il me répondit affirmativement, m’informant de sa future venue pourtant mes larmes ne cessèrent pas de couler. Le vent fouettait mon visage, et tous ces mots qu’il m’avait dits rouvraient cette plaie béante que j’avais si bêtement cru pouvoir raccommoder.
Mes larmes brouillaient ma vue, pourtant je n’eus pas de mal à reconnaître la voiture d’Andras qui avançait au coin de la rue. Je me levai tout en essayant vainement de sécher mes larmes qui renaissaient immédiatement de leurs « cendres ». Le regard fuyant et les mains tremblantes j’ouvrais la porte de sa bagnole. « j’suis désolée. » lui lâchai-je dans un murmure presque inaudible.

fordham rocks.