Elle me fait rire ; avant même d'être entré dans la salle, je savais qu'elle sortirais avec Mickey collé sur son avant bras. Au moins, ça cachait les petits points rouges, traces des nombreuses prises de sang et autres piqures qu'elle devait subir toutes les semaines. Heureusement qu'elle était plus au lycée, avec les profs toujours sur le dos des élèves et les assistantes sociales à la recherche d'enfants battus, ils l'auraient directement envoyé en rehab sans chercher à comprendre. Ou peut être que c'était que dans les écoles que j'avais connu : toujours à la recherche du gosse à problème, ceux qui tomberait dans l'héro avant ses quinze ans. Faut croire qu'ils avaient une super prime quand ils en choppaient un avec le creux du bras bleu ou le nez poudré de blanc. C'était pas le cas de Casey, pas le genre et heureusement. J'avais un peu travaillé avec des junkies, on en voyait débarquer plein la nuit aux urgences, les habits qui puaient un mélange de vomi et d'usure, des cernes violacées sous les yeux. Casey, elle rendait mieux avec son pansement Mickey, plus qu'avec des cernes en tout cas. Elle se relève, le sourire aux lèvres. « Y'a pas à dire, j'ai trop la class. ». Je me retourne, pour mettre les flacons dans un bac frais. « On peut monter en pédiatrie si tu veux, j'suis sur que les gamins vont direct t'accepter avec ça. ». Petit sourire en coin, c'est comme ça entre nous, c'est du genre je te taquine mais jamais méchamment. Remarque, je l'aurais bien vu au milieu de tous ces gosses à essayer de faire la plus grande tour lego de l'hôpital. Casey, elle était directement devenue ma petite protégée, je sais pas si c'était cet air perdu derrière une montagne de cheveux rouge ou sa candeur naturelle qu'elle n'avait pas perdu malgré sa maladie. Je m'étais arrangé avec une collègue, contre une journée de travail en plus pour suivre son cas, ça me changeait de mes grands père, c'était un peu plus vivant avec elle. « Allez come on babe, t'as été sage alors je t'offre un road trip dans les couloirs de l'hosto. ». Je m'approche d'elle, passant mon bras autours de ses épaules et nous voilà sortis, sans direction précise, bras dessus bras dessous à parler de tout et n'importe quoi, en nous moquant un peu des jeunes stagiaires qui courraient à droite à gauche, paniqués car ils ne trouvaient pas leur salle de consult'. Dire qu'il y a quelques années, j'étais à leur place, j'avais bien le droit de me moquer un coup. Le drôle de duo dans les couloirs, la fille aux cheveux jaune canari d'un côté et le grand rasé aux allures d'ex taulard.

« On va s'assoir ? J'commence à être un peu fatiguée en plus. » Nos marches duraient jamais très longtemps, on s'arrêtait toujours vite et je m'arrangeais pour trouver des salles pas loin de la cantine ou d'endroits « sympas » comme le petit parc, histoire qu'elle s'ennuie pas avant de retourner chez ses parents. J'crois que c'est ça qui faisait craquer les autres infirmières, de me voir me mettre en quatre pour les patients, et surtout pour la petite rouquine qu'il aime tellement. Dixit deux anciennes qui regardaient le tableau la semaine dernière ; elles avaient pointé le nom de Casey du doigt, apparemment il y en avait une jalouse parmi les deux, et elles étaient partit dans leur conversation sur les types gentils malgré leurs airs de brutes. J'enlève mon bras et m'assied à côté de Casey, jambes croisées devant moi, nuque posée contre le haut du canapé. Je lui jette un coup d'œil, sourcils légèrement froncés, à me demander si elle va bien. C'est rare de pas l'entendre parler, c'est une vraie pile d'habitude. Je pourrais la vider de la moitié de son sang qu'elle continuerait à me raconter son rêve de la veille ou comment elle a fait pour faire brûler la bouffe de ses parents à midi. Là rien, ou plutôt, une légère pause avant qu'elle ne se remette à parler. Elle semble pas assurée, hésitante et butant sur chaque début de phrase. Je me redresse un peu, évitant de la couper. En général, quand on commence comme ça c'est qu'on a un gros truc à annoncer, le genre de bombe que tu vas pas raconter au premier type qui passe dans la rue. Elle a un problème peut être ? Ouais c'est ça, elle doit avoir un problème, ou sinon elle me supporte plus en tant qu'infirmier, elle va changer, ou déménager. « Je pense tout le temps à toi. » Damn. Sa phrase me reconnecte à la conversation, me faisant oublier mes suppositions débiles. Elle se relève, le rose teintant légèrement ses joues. Ça veut dire quoi ça je pense tout le temps à toi ? c'est à prendre dans le sens : je pense tout le temps à toi comme on pense à son meilleur pote ? Je pense tout le temps à toi parce que tu me sort par les yeux ? « Attends ! » Par réflexe, j'attrape sa main, la stoppant dans son élan. Je me relève rapidement, l'attirant un peu contre moi pour qu'elle ne prenne pas la fuite, encore. « Tu... tu veux dire quoi par la ? » Je me sent con de lui demander ça comme ça, de limite perdre mes moyens à cause d'une phrase peut être balancée comme ça, au hasard. Je me sent con parce que j'ai très bien compris ce qu'elle voulait me dire, et que ça fait un temps que je veux pas me l'avouer. C'est peut être le trop plein de testostérones, le fait d'être libre comme l'air qui me fait agir comme ça, ou le fait que les filles qui m'avaient dit des trucs comme ça avant, je les avais gentiment dégagé. C'pas mon truc. Mais pas elle, pas Casey, je sais pas pourquoi mais la vanne facile que je ressortais sur un plateau à chaque nana fleur bleue venait pas. Parce que Casey, elle me faisait marrer avec un rien, parce que le matin, quand je débarquais après une nuit trop courte, je cherchais des yeux son nom sur ma liste de patient du jours. Parce que moi aussi elle avait envahi mes pensées, un peu plus chaque semaine. Je lâche sa main pour la poser contre son menton, relevant son visage et pose mes lèvres sur les siennes. « Hey, crois pas que tu vas te débarrasser de moi aussi facilement. Et … en fait … moi aussi j'pense beaucoup à toi. Depuis un moment d'ailleurs. » Surtout depuis qu'elle m'avait annoncé quitté Julian. Jamais ça ne m'étais venu à l'idée avant et pourtant … Non, non, t'aurais pas du faire ça So', c'est ta patiente et elle est jeune. Trop jeune pour toi. Je recule d'un pas. « J'suis désolé Casey, oublis. Je … j'ai du taf. »

OK by Mack.