23 AM. Les insomnies ont toujours été monnaie courante chez moi. La nuit, j'avais beau fermer les yeux de toutes mes forces, faire le vide dans ma tête, il arrivait souvent que Morphée m'oublie sur son passage, me laissant désespéré, en proie à une profonde exaspération, même si je savais que je ne serais pas vraiment fatigué le lendemain. Je n'avais pas besoin de beaucoup dormir, mais il était tout de même très frustrant de ne pas pouvoir sombrer dans un sommeil réparateur et de rester là, allongé dans le noir, crispé et bien éveillé, conscient de tout ce qui se passait aux alentours, sans espoir de pouvoir rejoindre des millions d'autres êtres humains normalement constitués dans le monde des rêves. Mélange de frustration, d'agacement, d'abattement et de solitude, les sentiments provoqués par une insomnie étaient très mitigés et me touchaient toujours. J'aurais dû y être habitué, mais non. Depuis mon enfance, j'étais la victime récurrente de ces insomnies, et je ne m'y étais jamais fait. Pourquoi est-ce que j'arrivais si mal à dormir ? Enfant, j'avais peur du noir et des monstres qui pouvaient surgir de sous mon lit. Effrayé à l'idée que l'un d'eux puisse me surprendre dans mon lit, j'ouvrais tout grand mes oreilles, guettant le moindre bruit suspect, ouvrais grand les yeux, à la recherche de la plus petite ombre inhabituelle sur les murs, le plafond et le sol. Même si mes frayeurs d'enfant m'étaient passées, j'avais du en garder le traumatisme, qui m'empêchait aujourd'hui de dormir. Exaspéré et vaguement honteux d'être ainsi victime de ma propre enfance, j'enfonçais ma tête dans l'oreiller, soupirai, puis me relevai d'un bond et sautai au sol. Quitte à ne pas fermer l'oeil, autant aller faire un tour. Comme je n'étais pas arrivé depuis longtemps sur le bateau, je n'avais pas encore de colocataire et était dans une chambre "de transition", plus petite que les autres et plus à l'écart, qu'on utilisait quand on n'avait pas d'autre endroit où caser quelqu'un. J'ouvris ma valise et en sortit un jean sombre, un t-shirt bleu foncé sur lequel était inscrit en lettres capitales blanches "Spellbound", en référence au film d'Hitchcock que j'adorais particulièrement. Je chaussai mes baskets grises, passai rapidement une main dans mes cheveux pour leur redonner un semblant d'ordre, puis je sortis de la pièce. Les mains dans les poches, je traversai le couloir obscur, éclairé uniquement par la lumière de la lune et de la nuit qui filtrait par les hublots. Je ne m'y attardai guère et mis le cap sur le living room, où je trouverais bien de quoi m'occuper, entre les magazines qui traînaient, les hauts parleurs qui diffusaient l'émission radio du moment -qui pouvait bien être à l'antenne à cette heure-ci ?- et autres divertissements... Une fois là-bas, je m'affalai sur un canapé, et commençai par observer l'endroit. C'était une vaste pièce agrémentée de canapés rouges assez communs, usés, mais confortables. Des tables basses les accompagnaient, pour poser les verres quand on buvait. Par les hublots, je pouvais admirer la mer, qui semblait illuminée par des miroirs, tant la lumière pâle de la Lune se reflétait joliment sur les vagues. La lumière conférait aussi à la pièce une atmosphère bienveillante, calme, reposante. Finalement, les insomnies avaient du bon, puisqu'elles me permettaient de vivre ces moments privilégiés de la nuit. Soudain désireux de trinquer -même seul- à la santé de la Lune, je me levai et me dirigeai vers la cuisine, elle aussi illuminée par cette lumière que j'aimais tant.J'atteignis le frigidaire, l'ouvris et en extirpai une canette de bière, et allai m'asseoir à la seule table de la pièce, accolée au mur, et regardai par le hublot, songeur. Je laissai mes pensées vagabonder d'un sujet un l'autre, et finis par me déconnecter complètement de ce qui m'entourait, comme à chaque fois que je réfléchissais trop intensément. Tout à coup, un bruit me tira de ma torpeur. Surpris, je tournai la tête vers la porte de la cuisine, et dans l'encadrement, je découvris une jeune fille qui semblait avoir à peu près mon âge, ou un peu moins, dotée d'un joli visage que je ne pouvais pas distinguer très nettement, vu qu'elle se tenait encore un peu dans l'ombre. Ses cheveux blonds ondulés tombaient en cascade sur ses épaules. En m'apercevant, elle dut être surprise, car elle haussa les sourcils et sa bouche s'entrouvrit brièvement. Soucieux de ne pas l'effrayer, je levai les mains en signe d'apaisement et dit : - Olà... Pas d'affolement, je ne suis qu'un insomniaque en quête d'occupation. Désolé de t'avoir surprise. Puis je baissais les mains et constatait qu'elle s'était détendue elle aussi. Je lui souris et me levai, tendant ma canette en sa direction : - Tu en veux une ?

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