Une envie de chasse et de sang, de distraction et de renouveau. Cette envie de sentir l’adrénaline brûler ma peau à son passage si désiré. De l’action, un épisode tragique et sanglant, un mélange brûlant de haine et de douleur. Un besoin vital, également. Cela faisait longtemps que je n’avais pas gouté au sang humain. Les mortels se faisaient rares sur ce monde, et les restrictions étaient sévères avec tous ces « nouveau-nés » sans aucun contrôle sur leur soif… Je n’osais penser au moment où nous serions à court, à ces jours funèbres qui s’annonçaient. A la manière du réchauffement climatique pour les humains, la pénurie de sang pour les vampires étaient une réalité affreuse dont on préférait détourner pudiquement le regard. Je ne faisais pas exception à la règle. Mais ce soir était le soir de trop. J’étais assoiffé, à la limité de la crise de nerfs. Il était rare que je m’abstienne pendant si longtemps. Il faut dire qu’il y avait de quoi m’occuper l’esprit, ces derniers temps. Des soucis d’importance non négligeable qui parasitaient mon esprit torturé et malsain. A commencer par cette foutue vision des six prochains mois à venir. Ce n’était pas une mauvaise chose, seulement c’était la seconde sur la liste, la première étant bien trop pénible pour que je me laisse à y songer. En ce qui me concernait, il n’y avait là que du bon. Un moyen de se débarrasser d’une entrave douloureuse en conservant sa fierté et tout son mérite. Et sa compagne, à jamais mienne. Pour l’éternité. Un lien qui nous unirait au-delà de la mort, que personne ne pourrait venir parasiter. Tara mettrait fin à ses jours et je l’y aiderais, je le savais, le sentais. Beaucoup étaient horrifiés de la vision de leur propre avenir. Ils ne voulaient pas vivre ce futur et feraient sans doute tout ce qui était en leur pouvoir pour remédier à cette situation. Le futur était aussi malléable qu’une jeune fille pré pubère en quête d’un peu d’amour et de tendresse. Mais je ne voulais pas me soustraire à cet avenir, reluisant et sombre comme une carapace de scarabée. Il m’attrayait, ne me montrait aucun côté néfaste. Le destin se chargeait de me satisfaire sans que je n’aie à bouger un orteil. Je chassai cette pensée au fin fond de mon esprit, me concentrant sur les fillettes un peu trop dénudées pour la saison défiler devant moi en me jetant inévitablement un regard. Adossé au mur d’un bar, je les observais sans rien dire, guettant la bonne. L’appel du sang, ma gorge nouée par ce besoin instinctif de se nourrir. Je veillais à mémoriser chaque visage, afin d’être certain de ne pas l’avoir déjà vu. Ce serait l’erreur à ne pas commettre : coucher deux fois avec la même. J’avais déjà donné et m’étais retrouvé involontairement piégé dans les filets de la belle. Le visage de Calypso m’apparut alors, aussi douloureusement qu’un bon coup de pieds dans les bijoux de famille. Un vrai plaisir. Je grimaçai et refoulais la diva de ma tête.

Un sourire juvénile me fut adressé, auquel je répondis d’un air charmeur. La petite brune s’arrêta, me regardant avec insistance. En voilà une qui n’avait pas froid aux yeux. Les lumières du pub derrière nous éclairait son visage et créait des tâches de couleurs sur sa peau blafarde et ses cheveux sombres. Ma gorge se noua. Je n’aurais pas à attendre longtemps, seulement un minimum de belles paroles échangées devait être présent dans ce jeu de séduction d’un soir. Seulement, cette fois serait pour ma santé et non pour mon plaisir. Je m’avançai, m’apprêtant à entrer en scène auprès de la demoiselle quand un visage bien connu perça la foule et me sauta aux yeux. Stoppant net dans mon mouvement, je tournai la tête vers la brune qui traversait à contre-courant le flot de passants tardifs. Même à cette heure, beaucoup étaient encore dans les rues. La petite brune me sortit aussitôt de la tête, et je l’oubliais instantanément. Mes jambes me portèrent d’elles-mêmes à une vitesse folle jusqu’à la silhouette familière qui déjà s’éloignait. Mon corps fourmillait entre plaisir sadique et hargne vengeresse quand je me postais devant elle, emplissant son champ de vision de mon corps. Je décidai de ne pas jouer la carte de la violence. Je la réservai pour plus tard. Tout le sadisme et la torture dont j’étais capable de faire preuve étaient préservés, au chaud, quand nous serions loin de cette foule bruyante. Les mains nonchalamment enfoncées dans les poches de mon jean, je la regardais avec ce sourire faussement heureux au coin des lèvres, mon regard bleu glacier posé sur elle avec insistance. Mes mains étaient refermés en poings, à l’abri de son regard. Je penchai légèrement la tête vers la droite, ce qui donna à ma posture un air de psychopathe. Aucune douceur ne transparaissait dans mon attitude. Une envie de violence meurtrière s’emparait doucement de mes pensées et de mon corps. Mon repas serait remis à plus tard. Autour de moi, les bruits de la ville s’éteignaient doucement. C’était comme s’il n’y avait qu’elle dans cette bulle que je m’étais mentalement créée. J’avais eu autrefois des sentiments tendres et délicats envers la jeune et jolie Lockwood, alors que nous étions encore tous deux humains. La garce avait eu le culot de m’oublier. J’avais osé espérer qu’elle avait aussi oublié l’ordure pour laquelle elle m’avait quitté avant que tout ne dégénère dans mon cerveau torturé. J’avais pensé que c’était le cas, jusqu’à ce que j’apprenne cette nouvelle qui me fit hurler de rage. Nathanaël était de retour dans le tableau. Un nouvel accroc sur la trame de notre vie commune. Je la détestais pour cette trahison, cette fausse rébellion qui se transformerait bientôt en bain de sang. Je l’espérais. Oui, je l’aiderais à mourir. Car elle ne devait appartenir qu’à moi, à moi seul.

« T’as l’air perdue, chérie. Allons, une femme jolie comme toi, seule à cette heure tardive… C’est mal, mon amour, tu devrais savoir que quelqu’un pourrait te vouloir du mal. »

Oui, et elle avait précisément affaire à ce genre de personne en cet instant. « Mon amour ». Des mots que je prononçai d’un ton doucereux et dur à la fois. La blesser, lui rappeler cette idylle brisée par sa faute. Elle ne s’en tirerait pas de cette façon, ça non. Nouveau sourire. Je ne quittais pas ses yeux du regard. Ses beaux yeux qui avaient fait chavirer mon cœur des siècles auparavant. Je les connaissais par cœur. Je les avais vus bercer toutes sortes d’émotion, transmettre amour et haine. Son regard ne devait regarder que moi dans ses derniers instants. Je ne permettrais pas à Nathanaël de briser ce souhait.
Face à moi, Tara préféra fuir que de m’adresser la parole. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait posé un orteil sur le seuil de notre demeure. Une demeure vide de sa présence fantomatique, son ombre si faible qu’elle semblait vouloir s’effacer à chaque instant. Faible mais néanmoins rapide, Tara fut vite hors de vue. Aucun humain n’aurait pu la retrouver. Mon flair m’y aida, et j’étais plus fort, plus endurant que la jeune femme. Je suivis sa trace au milieu des odeurs humaines des rues encombrées.

« Allons ma douce, tu sais bien que je ne toucherais pas à ton joli visage… Pourquoi me fuir ? »

Le décor changea et je ris, respirant l’odeur du sol forestier qui s’étalait sous mes pas. Les arbres défilaient de chaque côté. La nuit et la chasse m’embrumait l’esprit. Cette « journée » ne serait pas comme je l’avais espéré. Non, elle serait bien mieux. J’aurais enfin affaire à ma compagne pour exiger les explications qui m’étaient dues. Le vent froid soufflait sur la canopée, bruyant. Il m’accompagnait dans ma course, me donnait des ailes. J’étais en chasse. Je la voulais, je la trouverais. Je la voulais, elle, elle et ses secrets, elle et sa douleur, ses regrets et sa faiblesse, elle et son honteuse trahison. Je la voulais. Pour moi et moi seul. Son corps, son esprit et son âme même devaient m’appartenir.

The big apple