Une nouvelle vie. La mienne. Enfin. Après dix-sept ans passés à New York, le moral peu à peu rongé par le quotidien, je volais enfin de mes propres ailes. Enfin, sauf pour la partie financière, qui (théoriquement) serait payée par mes chers géniteurs. Théoriquement, car j’étais partie avec mes valises laissant simplement un mot qui disait « Je pars. Tant pis pour vous, il fallait penser à m’aimer de temps en temps. Je ne vis pas d’eau fraiche et de verdure mais d’amour et d’affection. Vous m’avez pris, ma nourrice, mon enfance et ma joie de vivre, maintenant à vous d’en assumer les conséquences. Vous recevrez la facture de Royal Majestic, le bateau ou j’ai embarqué. Si vous ne voulez pas payer, tant pis, je me débrouillerais. Sans vous, encore une fois. Apolline. » Ces mots tracés sur un simple post-it jaune me coupaient définitivement de mon passé aux Etats-Unis. Passé que je ne regretterais pas. La veille, j’avais acheté un billet d’avion par le biais d’Internet, préparé mes valises, pris le taxi jusqu'à l’aéroport. Et pris l’avion pour la première fois de ma vie. J’avais toujours rêvé de voler, même si ce n’était que portée par une énorme et bruyante carcasse de métal. Arrivée à Chicago, la ville d’où partait le Royal Majestic pour sa prochaine escale en Argentine. L’Argentine. Un endroit qui me semblait idéal pour un nouveau départ. Je ne parlais pas un mot d’espagnol, mais me débrouillerait très bien avec l’Anglais.

Cela faisait maintenant deux jours que j’étais à bord du paquebot. Deux jours que je réapprenais à vivre. La suite que j’avais choisie était bien sur en première classe, d’un luxe à couper le souffle. Je pouvais y prendre mes repas si je le désirais. En fait, je pouvais y faire à peu près tout ce que je voulais, je n’avais qu’à sonner du personnel. En deux jours, je n’avais pas encore eu l’occasion d’explorer tout le bateau, et plusieurs semaines ne ne suffiraient probablement pas pour tester toutes les activités qui s’offraient à moi. Et s’était tant mieux. Je comptais bien rester plusieurs mois à bord du Royal Majestic, et me fichait totalement de ce que je ferais ensuite, fidèle à ma devise « Carpe Diem ». Profite de l’instant présent. Cette nuit la, je n’arrivais pas à dormir. Je n’avais pourtant ni trop chaud, ni trop froid, ni trop de soucis en tête. J’étais simplement en manque de musique. Certains sont en manque de leur chéri, moi de ma flûte. Chacun son truc. Je sortis de mon lit, enfilait une robe de chambre en polaire, des chaussons par-dessus les chaussettes que je mettais toujours pour dormir, puis sortit ma flûte de son étui de cuir rembourré et assembla les trois morceaux d’argent. Puis je sortis sur le pont. Il neigeait. De gros flocons blancs qui tombaient lentement du ciel, avec lenteur et poésie, enveloppant peu à peu le bateau d’une fine couche de poudreuse banche. J’avais déjà vu la neige, une fois, à New York. Mais elle avait vite fondu, recouvrant les rues d’une boue liquide et brune. Ici, en plein océan, c’était… magique. C’était comme si un géant saupoudrait le monde de sucre glace, pour figer dans l’instant présent un univers qu’il avait mis des siècles à façonner. Sortant ma flûte de mon peignoir ou je l’avais glissée pour la protéger, je me mis à jouer. Pierre et le Loup, la partie de l’Oiseau, un morceau court mais rapide et joyeux. Cette mélodie était l’une des premières je j’ai joué. A l’époque, ma prof, Myriam, m’accompagnait. Mais maintenant j’étais seule, seule avec mes souvenirs qui remontaient peu à peu à la surface… il me semblait avoir remonté le temps plusieurs années en arrière. La première fois ou j’avais vue de la neige, même si ce n’était qu’en plein Manhattan, . Après l’école, j’avais été à l’école de musique, comme tous les soirs. Myriam m’avait appris quelques chants de Noël, puis nous avions partagé un chocolat chaud en regardant les flocons danser par la fenêtre.

Mes doigts faisaient d’eux même naitre la mélodie, cette mélodie qu’ils connaissaient par cœur pour l’avoir joué des dizaines et des dizaines de fois. La neige tombait toujours. La musique résonnait toujours. Les souvenirs affluaient toujours. Un bruit de pas se fit entendre. Je sursautai, arrêtai de jouer, et me retournai.

ok by Dylan