c h a p t . I : l e s r o s e

Je ne sais pas et ne saurai sans doute jamais comment j'ai vécu jusqu'à mes quatre ans. Mes premiers souvenirs datent de l'orphelinat, un endroit froid et austère qui m'a longuement accueilli. Whitley. Damian. James. Voici les seuls informations qu'on a donné à un enfant avide de connaissance, avide de compréhension vis-à-vis de ses origines. Riche. Ils avaient été riches. Héritage ? Je n'en ai jamais entendu parler et il a dû sûrement se perdre dans les papiers du notaire ou dans les poches de quelqu'un. Une grande maison. Un tragique accident. Évidemment qu'il était tragique : après tout, il laissait derrière lui deux orphelins. Deux.. J'ai toujours été seul, aussi loin que je me souvienne. Ce n'était pas très brillant l'orphelinat. Il y en avait d'autres, de gosses des rues repêchés car seuls, des orphelins victimes d'incendies et plus si affinités. C'était tragique. Toujours tragique. Si on écoutait les adultes, tout serait tragique. On voyait la pitié et l'envie, dans les yeux de ces familles d'accueil dont les problèmes naturels empêchaient d'avoir des enfants, ou encore des jeunes femmes ne voulant pas être déformée à vie par une grossesse suivie d'un accouchement. Longtemps, je me suis senti comme une boîte de céréales. On la prend, on la finit, on la jette. Personne ne se soucie plus de l'enfant silencieux et renfermé, après, qui a causé tellement de problèmes qu'on a préféré le remettre à l'orphelinat, comme un jouet défaillant, comme une boite de céréales usagée. Les Rose furent les premiers. J'avais dix ans que cette homme bidonnant aux tempes grises et cette femme, cette bimbo, aux belles formes sont arrivés. Elle avait quoi, vingt ans ? Lui, cinquante ? Les Rose n'étaient pas riches, et c'était là la raison de leur venue. « Un enfant, qu'il est mignon, avec ses yeux bleus et ses cheveux bruns en vrac ! » disaient-ils en cœur. Et finalement, non malheureux d'avoir enfin une famille, je suis parti avec eux. Ils n'étaient pas méchants mais abjects. Pour eux, j'étais un porte-monnaie. Les Rose n'ignoraient pas que les services sociaux leur enverraient de l'argent, sachant qu'ils n'en avaient pas beaucoup, pour subvenir à mes propres besoins. Où est passé cet argent ? Dans des montres, des horloges, des bijoux, des chocolats ; toutes ces idioties qui ne servent pas à un enfant de mon âge, de dix ans. Évidemment, ces gâteries n'étaient pas pour moi – ç'aurait été trop beau – mais pour Kimmie, qui était une jeune femme vaniteuse et odieuse. Les Rose demandaient toujours plus. De moi, je veux dire. Ils m'ont mis dans une école où même les professeurs semblaient apprendre en parlant et je me devais d'y être parfait. Je devais avoir les meilleures notes, tout devait être mieux, mieux, mieux mais il y avait Anthony. Anthony était un génie. Lui aussi venait d'un milieu défavorisé et ses parents, des gens gentils et courtois, ne pouvaient le mettre en école privée. Anthony était un rival mais aussi un ami. Lui avait des excellentes notes, toujours au dessus de moi. Évidemment, cela ne plaisait ni à George ni à Kimmie, alors je lui ai expliqué et, de temps en temps, il faisait exprès de se tromper pour me permettre de le surpasser ; en échange, je lui devais des biscuits. On ne se pose pas plus de questions, à cet âge. On essaie pas de comprendre, on agit tout simplement. Mais très vite, la situation dégénéra avec les Rose. Kimmie et George ne s'entendaient plus (je le savais car j'écoutais à la porte, occasionnant même un œil par la serrure). Ils se disputaient et ce, "très rouge". Et évidemment, je prenais tout. Je devais doubler d'efforts, en tout et, quand ils se sont divorcés et que George a sombré dans l'alcoolisme, j'ai été remis aux services sociaux puis à l'orphelinat. Je n'ai plus jamais revu George Rose ou Kimmie Jenkins.

c h a p t . II : l e s d a w k i n s

Les Dawkins étaient spéciaux. Spéciaux, mais gentils. Ils n'étaient pas particulièrement riches, ni particulièrement pauvres. Ils avaient un juste milieu : la simplicité. Oh, évidemment, Lidiwine avait quelques tics et Jonas des problèmes cardiaques mais ce n'était pas important. Ils avaient déjà un enfant : October. Celui-ci aussi était orphelin de naissance, abandonné sur le seuil d'un orphelinat de l'upper west side. Il ne m'était pas désagréable, mais nous n'étions pas les meilleurs amis du monde. Lui était ce que l'on appelait communément un nerd. Entre les Rose et les Dawkins, il y a un monde. Trois ans, en fait. J'avais passé ces trois misérables années avec cinq familles, toutes plus barrées les unes que les autres. Ainsi balloté, j'étais devenu un enfant irascible, dont la présence relevait du défi pour ne pas m'éclater contre le mur le plus proche. La seule chose qui me faisait sourire, c'était ces lettres. Ses lettres, précisément. Une jeune femme de je ne sais où se disait ma sœur mais moi, je n'avais aucun souvenir d'avoir eu ou d'avoir une sœur. Que ce soient des mensonges ou pas, je crois que c'est ceci qui m'a fait tenir le coup. Sourire. M'ouvrir. Je m'imaginais déjà sur un radeau, la rejoignant sur un île inconnue et utopique où nous vivrons jusqu'à la fin de nos jours, et plus encore. Mais ce ne fût jamais le cas. Jamais. Toujours seul, à regarder la pluie tomber de derrière la fenêtre. Toujours seul, le Damian.. Si elle était ma sœur, pourquoi ne venait-elle pas me sauver ? Pourquoi ? Pourquoi ? Comment ? Tant de questions pour de si maigres réponses, toujours les mêmes. « Parce que c'est comme ça. », « Parce qu'elle n'existe pas. », « Oh, tais-toi un peu ! ». Les Dawkins venaient d'un milieu simple mais nous avaient quand même mis dans une école privée, moi et October. Je pensais souvent à Anthony, resté dans le Bronx. C'était une école strict où je me sentais mal, où mes maigres B passaient pour des F, sous leurs yeux intransigeants de professeurs adultes. Je n'ai pas connu cette pression avec Lidiwine et Jonas, néanmoins. Ils étaient cools. October aussi. Alors que Anthony tenait du génie, October lui, possédait une lumière divine. J'ai toujours été entouré de personnes ainsi, sans jamais en faire partie. Si ce n'est que la technologie et l'informatique, October ne s'est jamais intéressés aux études, bien qu'il raflait des notes qui me faisaient pâlir de jalousie. Nous partagions une chambre, dont le si petit plafond que, en grandissant, nous dûmes nous pencher légèrement. October passait son temps à pianoter sur son ordinateur, si bien qu'un jour, je lui demandais ce qu'il y faisait.

OCTOBER Ҩ J'écris.

Et c'était ça. Il écrivait. Un blog, une page de ce logiciel d'écriture, un peu de tout mais aussi de rien. October écrivait. Je ne sus pas tous les détails de cette écriture maladive mais cette réponse me suffisait. Plus tard, j'appris qu'il était devenu un jeune auteur à succès, dont le principal thème était la science-fiction. Je crois que j'ai été le premier à le féliciter, nous avons gardé le contact malgré mon départ. C'est une grande question, qui revient souvent quand je visite Lidiwine. « Pourquoi es-tu parti ? Tu ne te plaisais pas chez nous ? » Inlassable, je répétais que non, cachant toujours le fait de la violence de Jonas à mon égard, de mes éraflures aux genoux provoqués par des règles trop pointues et des coups de poings « amicaux » donnés à l'épaule. Non, je ne me plaisais pas chez eux. Et j'étais battu. Pourquoi ne m'aimait-il pas ? Je crois que je consommais trop d'argent. Il devait croire que c'était moi qui geekait jour et nuit et utilisait trop leurs maigres revenus vers l'électricité. Même si je revois souvent cette famille, je n'arrive pas à m'y attacher, comme avec tout le monde. Ils sont trop différents, sans doute trop heureux. Je ne les vois pas autrement qu'un calvaire, comme avec les vieux amis qu'on n'a pas envie de vexer.

c h a p t . III : l e s s a l a n d e r

Les Salander, je crois, était la meilleure famille pour moi. J'étais passé par la pauvreté, la normalité et la simplicité jusqu'à ici, l'aisance suprême d'une famille un peu bourgeoise. Des stars, mais du petit écran. Lui jouait dans une série, elle présentait une émission pour femmes d'un autre âge, sûrement sur une chaîne de télé-achat. Ces deux-là étaient vraiment des prototypes américains, blonds et parfaits jusqu'aux ongles.. mais stériles, malheureusement. L'adoption était leur seule chance. A l'orphelinat, il y avait Eurydice et moi. On ne s'aimait pas. Enfin, on ne se parlait pas, plutôt. Las, c'est devenu ma sœur d'adoption.

c h a p t . IV : l i s b e t h