Apparence & Style:
Tout est relatif. Il apparaîtra charmant pour les uns, tout juste passable pour les autres. A vrai dire Lughan s’en moque éperdument puisque, ne se mêlant que rarement à la foule de ses semblables, il aime à penser que nul être humain ne peut avoir le loisir de s’attarder assez longtemps sur lui pour émettre un jugement. L’ennui, c’est que la capacité d’un individu à dévisager autrui est extrêmement développée et ne requiert qu’une fraction de seconde. Certains sont directs « Mate moi ce t-shirt hideux », d'autres usent de leur pitié « Le pauvre n'a pas été gâté par la nature ». Mais qui n’a jamais osé critiquer un innocent après un simple et furtif regard ?
Ce que les gens perçoivent d’abord est sa taille tout juste dans la moyenne -un petit mètre quatre-vingt quatre- et une musculature finement dessinée. Il n’a pas l’allure d’une asperge boutonneuse correspondant à l’image type du geek, mais une structure générale plutôt banale –et plus musclée que ses semblables, car il faut le préciser il sait jouer au tennis. Vous ne l’aviez pas vu venir celle-là ...- qu’une paire de lunettes parfois portée fait rentrer dans la catégorie « hypothétiquement nerd ». C’est davantage sa démarche rapide, la tête baissée, son cerveau en constante ébullition si bien qu’il heurte régulièrement autrui en marmonnant une insulte à peine voilée, qui le fait basculer dans le « probablement nerd ». Son regard, deux iris olivâtres qui vous transpercent avec un mélange de crainte, de dureté et de mépris, finit par convaincre la populace : « certainement nerd. » Et si vous n’êtes pas convaincus, ses deux lèvres rosées achèveront le travail lorsqu’elles s’entrouvriront pour lui permettre de laisser échapper une raillerie digne de ce nom, ou une blague vaseuse relative à l’informatique. Malheureusement, celles-ci ne s’étirent jamais en un sourire, ou de façon très rare et éphémère. Vous arriverez alors à une conclusion évidente : « définitivement nerd ». En dehors de ces signes témoins de sa geekitude, Lughan est doté d’un visage carré et d’une chevelure brune tirant sur le châtain.
Ce qui est étrange chez lui –et qui ne manque jamais de surprendre-, est le contenu de ses armoires. L’irlandais n’a pas un goût de chiotte particulièrement prononcé, comme cela se retrouve souvent chez ses congénères. Il s’habille plutôt bien, même si ce n’est pas vraiment recherché. En fait s'il restait immobile au milieu d’une pièce, sans ses lunettes, sans un ordinateur à portée de main, en se tenant droit et en regardant le plafond, on pourrait presque le prendre pour un être humain relativement normal. A méditer.


Caractère:
En tout bon informaticien qui se respecte, Lughan profite de son temps libre pour s’assoir sur une chaise et contempler ses ordinateurs. Trois, pour être exact, trois petits bijoux qu’il chérit plus que la prunelle de ses yeux, plus que n’importe quel être humain. S’il devait choisir entre l’un de ses bébés et un tas d’os, il sacrifierait sans hésiter l’homme plutôt que la machine. Il reste souvent éveillé la nuit, parfois plusieurs nuits pour dénicher le code dont il a besoin, pour user de ses doigts experts afin de rentrer dans un système encore inviolé. WOW ? Dernier manga ? Casque avec micro intégré ? Certes … Mais l’irlandais est davantage intéressé par les limites qu’il peut dépasser avec un ordinateur. Modifier son bulletin scolaire, créer des applis, pourrir la vie d’un petit con, acheter avec le compte d’un étudiant friqué, percevoir un salaire indu … Et le plus beau, c'est qu'on le paie pour ça. Son pseudonyme a commencé à avoir une certaine notoriété parmi les étudiants, et il n'est pas rare qu'on lui demande quelques services informatiques, en ignorant parfaitement son identité. Pénétrer dans la boîte mail du copain, changer un avis pour une faculté extérieure, choper les questions d'un exam. Des trucs inoffensifs, mais lucratifs. L’avantage d’être un nerd, c’est d’évoluer en pirate. Pacifique s’entend, il n’a pas l’intention d’anéantir un programme nucléaire –encore faudrait-il qu’il en soit capable-. Faire chier et se servir dans la caisse d’autrui n’est qu’un corollaire, ce qu’il aime avant tout est de concevoir des choses qui marchent, et qui sont innovantes. Il se spécialise d’ailleurs dans les effets spéciaux afin de contribuer à la conception des futurs matrix qui révolutionneront le cinéma, et passe des heures à perfectionner son travail pour un résultat parfait. Une occupation calme et relativement légale, pour changer. C’est ça, son monde. Là où il est à l’aise. Derrière un écran, dans l’anonymat de son pseudonyme « clover ». En revanche, quand il doit se confronter à la réalité, une énorme baffe s’écrase sur sa joue.

Austère, bizarre, acariâtre, flippant. Ce sont généralement les premiers termes qui viennent à l’esprit d’un individu croisant son regard froid comme la glace. Il est de notoriété publique que l’irlandais est un vrai geek, cependant toute une légende autour de sa nationalité est née à son égard. Certains affirment que s’il se cache derrière une armada d’ordinateurs, c’est pour mieux tromper autrui sur sa véritable nature, à savoir un sociopathe hautement dangereux adepte des combats de chiens et anthropophage à ses heures perdues, membre d’un réseau de trafiquants d’armes. Il est resté perplexe la première fois qu’un crétin de Columbia est venu lui réclamer un flingue, mais ce n’est pas le genre de rumeurs que l’on étouffe dans l’œuf. Il préfère qu’on l’imagine comme un irlandais complètement cinglé que comme un pauvre étudiant fasciné par les pixels. Et à dire vrai, il est facile de se laisser tromper par son comportement d’asocial pouvant parfaitement coller avec l’un ou l’autre profil. Distant, restant la plupart du temps muet lorsqu’on ose l’aborder, parfois lâchant une ou deux phrases généralement incomprises, Lughan n’est pas le meilleur compagnon de soirée qui soit. Et pour cause, il déteste ce genre d’évènements ou tous ces moutons se réunissent pour finir à poil sur le toit du bâtiment, une bite dessinée sur le front, de la poudre autour des narines et une bouteille de whisky vide scotchée autour de la cheville. C’est précisément ce qui est arrivé à son imbécile de cousin, non pas que ça l’ai laissé parfaitement indifférent. Un sourire s’est glissé sur son visage, l’unique sourire qui est venu le décrisper en trois mois. Car c’est à peu près la récurrence de cet étirement des lèvres qu’il daigne offrir au public. Une fois tous les trois mois, il trouve un truc assez tordant pour en faire partager le monde, ce qui contribue certainement autrui à le trouver inquiétant. Vous savez, comme ce clown triste qui effraie tous les enfants. Mais l’irlandais n’a jamais trouvé d’intérêt à se balader avec un sourire niais à longueur de journée. En plus d’être fatiguant, il trouve cela davantage effrayant qu’une personne qui broie du noir. Parce que quelqu’un qui sourit sans raison, ça ne laisse rien présager de bon quant aux pensées qui lui traversent l’esprit … Vous connaissez le Joker ? Eh bien voilà … Son quotient intellectuel ne l'aide guère dans l'histoire. Plus élevé que la moyenne, il a créé chez Lughan un léger complexe de supériorité qui l'empêche d'être apprécié par bon nombre d'étudiants. Ses contacts avec le monde, vous l’aurez compris, sont donc limités et bien souvent infructueux. Et ceux qui ont insisté pour le connaître, le regrette parfois. Car il est d’un cynisme qui plongerait le plus heureux des bisounours dans une dépression interminable. Il est sauvage, abrupt, comme un enfant loup qui se retrouve plongé au milieu d'une foule. Pas à sa place. Trop franc, trop silencieux, trop différent.

Ma vie est cruellement ordinaire. Pas de parents assassinés par un serial killer –bien qu’ils soient tous les deux morts et enterrés-, pas d’accident qui m’ait rendu borgne, pas de centre de désintoxication pour m’être trop piqué, pas de météorite qui m’aurait transféré des pouvoirs extraordinaires. Juste moi : Lughan O’Reilly, 22 piges, râleur et geek à plein temps. Je suis né en Irlande, comme le laisse entendre cet accent qui fait grincer des dents ou remplit les yeux de petites étoiles selon mon interlocuteur. Je connus une enfance des plus banale : une sœur casse pieds, des petites voitures, des vacances à la mer –puisqu’elle était au bord de notre maison-. La seule différence peut-être était mon père pasteur, et ma mère dévote inconditionnelle de Dieu. Ouais, une éducation religieuse ça vous change un bonhomme, moi ça m’a appris à détester tout ce que cela représente et m’a doté d’un cynisme particulièrement agressif. Passons, je n’ai pas connu le martinet, mes parents n’étaient pas pour autant de parfaits bourreaux qui nous interdisaient tous les plaisirs de la vie. Ils n’en eurent pas vraiment le loisir en vérité, puisqu’ils décédèrent à la suite d’un accident de la route. Rien de plus banal, je vous avez prévenu. Cet évènement expliqua notre mutation vers les Etats-Unis, pays de l’espoir et de la nouvelle vie. Ma sœur et moi avons toujours été liés par cette perte, et nous n’avons presque jamais été séparés depuis. Je vivais chez un oncle que nous connaissions à peine, et qui se révéla être un parfait contraire de ce que nous avions eu pour habitude de côtoyer. Un baba cool, pacifiste, luttant contre la pollution et pour la paix dans le monde, tout droit extirpé du film hôtel Woodstock. Un hippie resté bloqué dans les années 60 sans comprendre que tout autour de lui avait muté. Il nous laissait faire tout ce que nous désirions, ce qui me poussa –une fois de plus- à faire l'inverse de ce que j’aurais du, c'est-à-dire m’enfermer à longueur de journée avec des bouquins et des écouteurs enfoncés sur les oreilles. Ma sœur, cependant, ne se fit pas prier pour goûter à tous les vices et tenter de me corrompre. Le seul élément négatif de l’équation était un cousin 'bineuronal' qui ne manquait pas une occasion de saler mon produit à lentille, enfoncer ma brosse à dents dans les chiottes, et autres blagues qu’il trouvait tordantes et qui m’irritaient au plus haut point. A 18 ans ma sœur quitta le nid familial pour partir vivre sa vie, me laissant en compagnie de l'autre crétin. Elle revint penaude trois ans plus tard, enceinte jusqu’aux genoux et larmoyante. Son jules l’avait engrossée, avait juré d’être là pour elle et le bébé, et s’était enfui avec une blondasse cinq mois plus tard. Une blondasse qui –elle- pouvait baiser. Elle donna naissance à un merveilleux môme, et déménagea à nouveau lorsqu’il eut trois ans, m’emmenant avec elle. Enchaînant les petits boulots, et les mecs aussi, cette période de mon enfance fut relativement étrange.

Mais la vie amoureuse –pour ne pas dire sexuelle- décousue et chaotique de ma sœur avait également des bons côtés. Parce que je pouvais épier ses divers ‘jouets’ à travers la serrure de la salle de bains, certes. Mais surtout parce que ces mecs daignaient toujours s’intéresser à moi, avec cette volonté de copiner, et par conséquent de me transmettre leur savoir dans le domaine où ils estimaient être les meilleurs. Allez savoir pourquoi, les hommes ont toujours l’impression qu’en se faisant apprécier par la famille, ils y resteront plus longtemps. Grossière erreur, particulièrement au sein de la mienne. Parmi l’équitation –trop dangereux-, le snowboard –trop douloureux-, le parapente –trop vertigineux-, les magasines pornos hétéros –vraiment dégueulasses-, les opéras –chiants à mourir-, j’en ai tout de même gardé une passion pour les moteurs de véhicules terrestres ainsi que pour les ordinateurs. Car non, je n’ai pas toujours été attiré par les pixels. Je ne suis pas né geek, cela a été le fruit d’une longue mutation pendant laquelle personne ne m’a secouru. Une heure s’est rapidement transformée en une après-midi, une nuit blanche, des journées passées assis à contempler ce petit écran qui me fascinait sans explication. J’avais soif de connaissances, une envie irrépressible de comprendre son fonctionnement. Pas étonnant qu’au bout de huit ans je connaisse quelques ficelles, et j’ai encore tellement de choses à apprendre que mes doigts en frémissent d’avance. Au collège –middle school- passait encore, j’avais un niveau de socialisation relativement correct. Pas une notoriété s’étendant au-delà des autres classes, les lunettes ça forme une barrière qui vous pousse en dehors de la zone réservée au « stars ». Mais j’avais quelques amis et on ne rechignait pas à m’inviter à quelques « booms » parce qu’après tout, j’étais plutôt mignon sous ces épais carreaux. C’est au lycée –high school- que les choses se sont sacrément corsées. Un changement de ville, et ma vie se résumait à cours/ordi/cours/ordi. Je fis en outre l’erreur de lever le doigt plus que la moyenne, et de rejoindre le prof d’informatique après les cours pour quelques discussions privées. On m’attribua quelques charmants surnoms que tous les pauvres adolescents comme moi ont connus. Nerd. Geek. Monstre à lunettes. Biactol. Fayot. Et j’en passe et des meilleurs. Les autres, en plus de me mépriser en silence, se moquait de moi ouvertement. Mais étrangement je n’eus jamais l’idée de me remettre en question, de m’ouvrir les veines, de pleurer dans les jupes de ma sœur en la suppliant de changement d’école, n’y voyant pas là la fin du monde comme la plupart des adolescents persécutés pendant cette période ingrate de l’existence. J’insultais en retour ceux qui me piétinaient, les écrasait plus fort encore avec mon intelligence et mes dix doigts. Plus mature que mon âge, ça avait parfois ses avantages. Au bout de quelques mois on décida que me mépriser en silence serait suffisant, et je provoquais dans le regard une sorte de terreur qui se comparait fort bien à celle qu’inspiraient mes détracteurs les plus physiquement imposants. Seulement l’arme était différente. L’ordinateur pour moi, le corps pour eux. Je passais cette période la tête baissée, finalement le voyage ne fut pas trop houleux. J’avais deux amis et m’en contentait parfaitement : une tête d’ampoule et une cheerleader lesbienne qui se foutait bien du regard des autres.

Pas de ‘gap year’ pour moi. Non mais vous plaisantez, ma sœur et moi avions du mal à joindre les deux bouts. Pas besoin d’un petit voyage autour du monde pour creuser notre tombe. Je me battis bec et ongles pour obtenir une bourse au mérite grâce à mes excellents résultats, que j’obtins à la plus grande surprise et soulagement de ma sœur –qui ne voit en moi qu’un no life incapable de vivre en société sans soupçonner l’existence d’un cerveau bien plus développé que le sien-. J’entrai donc à l’université alors que mon neveu atteignait ses six ans, milieu dans lequel je baigne depuis maintenant quatre ans. Karen sollicite de plus en plus mon aide à son égard, ce qui n’est pas particulièrement un inconvénient, l’excuse « je dois garder le gosse » étant très chère à mes yeux lorsque je tente d’esquiver une invitation.