Apparence & Style: U.C.

Caractère: Je suis cette femme aux allures de garçonne, qui traine ses vieilles godasses et ses jeans troués sur l’asphalte et le bitume. Le monde m’indiffère et celui-ci me le rend bien. Les hommes me désirent ou me narguent, avec leurs allures d’oiseaux aux longs becs qui piaillent d’une apparence qu’ils jugent inadaptée. Je ne suis ni méchante, ni gentille. Profondément cynique, la franchise de mes mots et mon agressivité peut surprendre, amuser ou répugner.
Je suis une je m’en foutiste totale, incapable de sentiments et emplie d’une amertume que je m’amuse a déverser sur la face du monde. Quelle intérêt d’être cette chialeuse aux longues robes qui écarte les robes pour un sourire et rougit ensuite de ces gestes ? Le sexe n’est qu’un besoin. Un acte de plaisir, provoquant la rencontre de deux corps nus, enlacés dans les draps. Il n’a que la signification qu’on lui donne. Je ne crois plus en l’amour ou peut-être n’y ai-je tout simplement jamais cru.
Je n’étais pas faite pour les études mais je ne suis pas bête. En vérité je suis plutôt rusée et maligne voir manipulatrice. Mes amants m’entretiennent et s’ils sont si nombreux c’est qu’ils ne sont jamais de grands bonhommes dans les hautes sphères et la société ne les portes pas en odeur de sainteté. Ces gangsters à la con, qui bavent pour deux coups de reins. Ces Tony Montana minables qui trainent entre mes draps, de temps en temps, pour teinter ma vie de quelques cris d’extase.
Je suis un peu artiste aussi, a mes heures perdues. J’aime peindre. J’ai toujours préféré m’exprimer de cette façon. Plutôt indifférente dans la vraie vie, ma sentimentalité s’exprime derrière les paysages et les visages que je peins allégrement. C’est aussi un gagne-pain lorsque la gentille voisine m’apporte des sucreries en échange d’un portrait d’un membre de sa si nombreuse famille. Je ne veux pas me faire de réputation. Mes tableaux resteront ce qu’ils sont. Un défouloir, une masse colorée de haine, de colère et d’amour.
Sur ce, bien à vous et à votre joli monde, a vos enfants pleins de tunes qui s’enfilent de la coke dans le nez chaque jour que dieu fait, à votre petite femme parfaite et à sa dépression derrière ces grandes robes fleuries et à votre avenir brillant.
Je ne vous en voudrais pas de m’oublier dans mon petit trou, de me railler. Je ne vous envie pas.

Deux êtres enlacés. C’est comme ça que je nous ai toujours vus, mon frère et moi, dans le ventre de ma mère. Deux choses ne créant qu’une entité, qu’une seule existence. J’imagine que ce fut pour nous le temps le plus heureux ou l’un contre l’autre, notre fortune vide de sens, nous pouvions nous aimer et nous entendre, échanger nos rôles sans que les bruissements éreintants du monde extérieur ne viennent entraver notre ronde innocente.

Nous nous étions construits ensembles. Lovés dans nos bulles respectives, nous avions vus nos membres grandir peu à peu pour former deux êtres humains, nous qui n’étions que deux toutes petites choses, deux toutes petites cellules perdues dans l’océan perturbant des entrailles de ma mère.

Je l’aimais de cet amour indescriptible qui liait son existence à la mienne. J’aimais nous jeux ingénus, notre ignorance chaste qui éloignait de nos enfantillages la trace du péché qui a poussé nos désirs adolescents à commettre l’irréparable. L’inceste qu’ils hurlaient ça. Dégueulasse, affreux, horrible. Les pleurs de ma mère qui réalisait en quelques coups de reins perdus, la faute de nous avoir tenus si longtemps éloigné de la connaissance du grand monde. Je ne voulais qu’apprendre, je n’avais appris à aimer que lui. Je ne connaissais de l’homme que son odeur à lui, ses gestes a lui … Mais un frère et une sœur ne peuvent s’aimer de cette façon-là et je le réalisais bien trop tôt.

Nous étions ces enfants de la route, qui voyagent indolents sur les grands chemins pour exposer a la face du monde, notre talent. Nous nous établissions pour quelques mois, ici et là, et je suivais une éducation par correspondance ou dans différents établissements. Mon frère ne fut pas envoyé a l’école. Mon père disait que ces mains étaient trop précieuses et qu’ils les gaspilleraient à les tacher d’encre même pour ce qu’on appelait « la culture » et la « connaissance ».

« Ca c’est des conneries du monde d’aujourd’hui. C’est pas avec ta grosse tête qu’on poussera la cariole » qu’il disait.

Mon père, il n’était pas très fin et ce n’était pas une tête mais il sentait bon le tabac brun et ces épaules soutenaient tant qu’il pouvait le poids de deux bouches de plus a nourrir.

Ma mère était silencieuse. Et ces mains douces, qui fermaient nos yeux le soir, sentait la lavande et la terre. C’était une acrobate merveilleuse, souple et délicate. Et nous aimions l’observer lorsqu’elle se baignait, nue, dans son bain du matin, non par perversité aucune mais comme on regarde un tableau sacré et qu’on l’admire tant il illumine la pièce où il se tient.

Nous n’étions pas les seuls enfants de la troupe mais nous étions délibérément solitaires. Les autres étaient les autres. « Ils ne peuvent pas nous comprendre, hein qu’ils ne le peuvent pas ? » et je souriais, attrapant la main rugueuse de mon frère. Lorsque nous étions séparés, nous étions deux enfants banals. J’étais médiocre à l’école et lui ne savait ni lire, ni écrire. J’avais des copines, quelques-unes, avec qui je gloussais dans la cour de récré et j’étais plutôt jolie, sans être une diva, sans que la moitié de l’école se prosterne à mes pieds. Et Mihai était à peu de chose près identique.

Moi je le trouvais beau. Il brillait comme un soleil lorsque ses muscles, contractés s’accrochaient aux trapèzes et qu'il traversait le ciel. Mes copines en étaient folles. Et moi aussi. J’aurais pu retracer chaque détail de sa peau et reproduire a l’exactitude l’effluve sucrée de son corps mais le temps passe et le souvenir de lui me coule aujourd’hui entre les doigts.

Je m’avérais douée en mécanique et passait mon temps, le visage enfoncée dans les tripes des vieilles voitures de la troupe dont une avec laquelle je m’enfuis.

« Comment …. Comment ? COMMENT AVEZ-VOUS OSER ? ». Je tiens sa main dans la mienne, mon regard rivé sur ses doigts. Ma mère hurle, elle qui parlait si peu. Sa voix n’est plus aussi douce, son charme s’est enlové. Il ne reste que l’amertume de notre geste et sous la déflagration du coup qu’elle me porte, ma main se détacha de celle de Jil, pour la perdre à jamais. Je n’avais que 13 ans. Seulement 13 ans lorsque dans un pays qui n’était même pas le mien, je fuis a bord d’une vieille voiture jusqu’à une bordure d’autoroute ou je l’abandonnais. Dans mon souvenir, je restais prostrée sur moi-même a pleurer sur mon sort des heures durant avant de me décider a affronter la tempête. Seulement lorsque je revins, ma vie comme un mirage avait laisser une place vide. Ils étaient partis sans moi et ne reviendraient jamais me chercher.

Ce fut une vieille dame qui donna mon signalement m’ayant apercue au loin, mourrant de faim et de froid au bord de la route. Je fus placée dans une institution et adoptée un an après par une jolie petite famille de 3 enfants, les Swann, expatrié en France puis aux Etats-Unis. Je grandis loin de la faute qui m’avait valu l’abandon, loin de l’instabilité de la vie de ceux qu’on appelait familièrement « les gitans ». Je ne revis jamais mon frère et me développa comme une jeune fille de caractère, avec un don pour la mécanique. Loin d’être le cliché de la fille masculine, je gardais au fond de moi une partie de Mihai qui me rendait étrange aux yeux du monde. Je ne portais jamais de robe, jamais de jupe et la platitude de mon corps liées à mes origines asiatiques me permettaient de rejeter en partie mon coté féminin. Je connu des hommes et même des femmes, m’attachant parfois et puis non et garda au fond de moi ma faute. Comme un secret, mon dernier pacte d’amour avec celui que je ne pouvais aimer.