Son boulot de serveur lui avait permis de rencontrer des tas de personnes, les unes plus différentes que les autres. Il y avait les personnes qui venaient en groupe d’amis, pour boire un coup et partageaient un moment ensemble. Il y avait celles qui tentaient d’oublier leur chagrin dans un verre d’alcool, ce qui ne faisait qu’aggraver leur situation de désespoir. Et celles qui souhaitaient oublier leur dernier grand amour en trouvant un potentiel petit-ami, souvent en la personne d’Adriel. Allez savoir pourquoi mais les serveurs avaient toujours une réputation de dragueur et cette règle n’échappa pas à l’image de l’étudiant. A ses premiers jours, lorsque les habitués se rendaient compte qu’ils ne l’avaient jamais vu nulle part, ils avaient été interpellés. Puis, les filles s’étaient intéressées, lui posant mille et une questions, qu’il répondait toujours en restant dans le vague. Raconter sa vie à des inconnus, ce n’était pas forcément quelque chose qui le passionnait et encore moins lorsqu’elles l’écoutaient simplement pour lui montrer qu’elles y trouvaient un intérêt certain alors que c’était faux. Pourtant, c’était assez flatteur de voir qu’il avait toujours autant succès auprès des filles. Seulement, c’en devenant lassant et il avait rapidement dû adapter ses réponses selon ses humeurs. Parfois et dans la plupart des cas, il entrait dans le jeu, surtout parce que son patron était dans les parages et qu’il observait tous ses faits et gestes, comme s’il cherchait la petite faille qui pourrait le faire renvoyer. Il leur disait qu’il était célibataire et totalement libre comme l’air. Et il continuait, elles restaient alors plus longtemps et de cette manière, elles consommaient encore et encore. Cela marchait à tous les coups. A force de phrases qui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau et qui ne voulaient plus rien dire à ses yeux, il avait fini par simplement déclarer qu’il était déjà pris. Cette réponse refroidissait n’importe qui. Forcément. La plupart du temps, on le laissait tranquille, légèrement déçues mais on se réconfortait dans les bras d’un autre mec qui passait au bar par hasard.

Et l’histoire recommençait la nuit suivante. Elle recommençait à chaque fois qu’une nouvelle étudiante qui n’était jamais passée par ici, s’installait au bar et commandait quelques verres. Parfois, elle faisait mine de ne pas l’avoir remarqué et puis, tout ceci finissait forcément par se voir sur son visage qui s’illuminait à chaque fois qu’Adriel posait son regard sur elle. C’est fou ce qu’on pouvait rendre heureuse une fille en un sourire. Le jeune homme l’avait bien compris. Habitué à ce traitement de faveur, il pensait que cette soirée-là se passerait comme les autres. Erreur. « Non, je parlais à mon ami imaginaire. Il a le même prénom que toi. » Généralement, même si cette demoiselle avait un caractère exécrable dans la vie de tous les jours, elle faisait un effort pour paraitre adorable et laissait Adriel s’attacher à cet ange. Là encore, c’était différent. Rien que son regard qui montrait une certaine supériorité, ne faisait qu’exaspérer le jeune homme. Une fille de riches, qui se croyait tout permis. A coup sûr. Le rire moqueur se fit entendre de la bouche de la jolie brune et son interlocuteur roula des yeux. Il perdrait son calme avant la fin de la soirée. C’était impossible autrement. Il priait le ciel pour qu’on lui donne ce courage qu’il n’aurait sans doute plus d’ici quelques heures. Si au moins elle prenait la peine de rester jusqu’à la fermeture. « Alors tu croyais que je te draguais ? C’est mignon, naïf mais mignon… » Répondit-elle face à la remarque d’Adriel sur son comportement soudain. Et là, c'était le moment où il se sentait tellement idiot qu'il aurait préféré rentrer chez lui en courant. En plus de ressembler à l'une de ses filles pourries gâtées, elle semblait prendre un malin plaisir à se moquer de lui. Il lui était déjà arrivé de tomber sur des clients pareils, mais ils n'étaient jamais aussi séduisants qu'elle. Il commandait quelques verres, lui faisait comprendre qu'il n'était là que parce qu'il avait besoin d'argent et non pour le plaisir. Il lui lançait ces regards exaspérants. S'il ne travaillait pas dans ces lieux, il aurait probablement déjà envoyé une droite à l'un de ses types. Le problème avec la demoiselle en face de lui, c'était qu'en plus du fait qu'elle se sentait supérieure, elle savait qu'elle avait du charme et elle en jouait beaucoup trop. Trop pour que cela paraisse naturel. « Alanna Gardner, belle riche bientôt célèbre, étudiante à Berkeley. Mais on s’en fout. Alors comme çà ton cœur est pris ? Si ce n’est pas adorable cela… Je peux savoir son prénom ? » D'ailleurs, l'hypothèse d'Adriel se révéla totalement juste lorsqu'elle se présenta comme étant une belle jeune fille et une étudiante à Berkeley. A Berkeley ? En plus ? Il ne l'avait jamais croisé dans les couloirs pourtant. C'était pas plus mal... Il lui aurait bien vite fait comprendre qu'elle n'était pas le centre d’intérêt de tout le monde. Adriel ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle se mit à battre des cils comme l'on en voyait dans les séries américaines lorsque la demoiselle buvait les paroles de son petit-ami qu'elle aimait tant et par-dessus tout. Elle était un spectacle à elle seule. « Et modeste en plus. A Berkeley hein ? C'est marrant, je t'ai jamais croisé là-bas. T'es sûre de toi ? » Répondit-il narquoisement. Ouais, il voyait bien le genre de la gosse de riche, inscrite parce que ses parents pouvaient se le permettre mais qui posait à peine les pieds là-bas, trop occupée à vivre sa propre vie si palpitante. La gosse de riches, qui hésitait même à savoir dans quelle université elle était inscrite. Fallait dire, elle passait tellement peu souvent qu'elle en oubliait les détails. Cette idée lui redonna presque le sourire, jusqu'à ce qu'il se souvienne de la deuxième partie de la phrase. La question que l'on ne lui posait que très rarement. Merde. Et si elle la connaissait pour savoir qu'en vérité, ce n'était qu'un rêve et non la réalité ? Il se sentit soudainement piégé à son propre jeu. Passant nerveusement une main dans ses cheveux, il tenta de formuler une réponse et ce, le plus rapidement possible. « Tu ne la connaitrais pas. Elle n'est pas le genre à côtoyer des personnes de ton rang, tu comprends... » Adriel n'avait jamais su mentir mais pour une fois, il était assez fier de sa réponse. Et avec une fille pareille en face de lui, elle prendrait probablement ça pour une attaque personnelle dû à son statut social. On ne se prenait pas tous pour des Dieux vivants. « Tiens d'ailleurs... qu'est ce qu'une future célébrité de San Francisco fait dans un bar comme celui-là ? T'as dû t'égarer. » On pouvait sentir toute l'ironie dans ses paroles. C'est vrai, qu'est ce qu'elle faisait ici alors qu'elle avait surement d'autres activités tellement plus intéressantes.