C'était fait depuis bien longtemps. Mon avenir, mon destin était fait depuis bien longtemps. J'étais né. C'était bien cela le problème. Ma venue au monde. Mes parents m'avaient donné la vie uniquement pour que je reprenne "l'empire familial" quand mon père serait trop vieux et rabougri pour sourire aux repas important auquel un Duc pouvait être invité. Vous ne rêvez pas non, j'ai bien dit Duc. Ah oui, là tout de suite, je deviens plus passionnant. Détrompez-vous, je suis loin d'être passionnant, je suis loin d'être gentil et poli. Il n'y a rien de noble chez moi, rien, à part peut-être l'iris fade de mes yeux que j'avais pris à mon géniteur disait-on. Seulement vous voyez, j'en avais rien à faire d'avoir ses yeux, d'être fait de sa chair, et d'avoir son sang dans mes veines. S'il m'avait porté de serait-ce qu'un tout petit peu d'amour quand j'étais gosse, ne serait-ce qu'un minimum d'attention, j'aurais certainement été différent. Je n'en doute pas une seule seconde. Ma mère ? Oh, elle était bien trop occupée avec son poulailler pour s'occuper de son fils. Non non, elle n'est pas fermière, faut pas déconner, ma mère se salir les mains avec des amis, rien que d'y penser, ça me fait rire. Son poulailler, c'est sa bande de copines, des pimbêches avec les lèvres gonflées au botox. Je me demande si ce n'est pas ça leur critère d'entrée à leur club VIP de vieilles peaux sans coeurs. Bref, tout ça pour dire que je suis bien là, sur cette planète bleue détruite par la sale espèce humaine. Je respire cet air pollué, le même que vous, je bouffe des trucs totalement chimiques sans même le savoir. Mais je m'en moque. La vie, c'est l'enfer, et je le sais depuis longtemps. Mais vous voyez, la différence entre vous et moi, c'est que je ne me voile pas la face. Je n'essaie pas d'être heureux puisque je sais que tout finira par être réduit à néant. Enfin je me trompe. Quand je suis loin d'elle je n'essaie pas d'être heureux. Mais quand je suis avec Helen, je fais de mon mieux, ne serait-ce que pour paraître heureux. Et je me surprends moi même à parfois l'être réellement, bien qu'au fond le bonheur je ne sais pas vraiment ce que c'est.

Quand je m'endors à ses côtés, j'ai l'impression de veiller sur elle. Et de son côté, elle m'empêche de couler en plein sommeil. Elle est ma bouée de sauvetage en quelques sortes, même si c'est un peu péjoratif. On va plutôt dire qu'elle est la lumière qui me guide. Elle m'a sauvé. Plusieurs fois j'ai essayé de partir, de mourir quoi. Pourquoi ne pas rejoindre l'enfer pour de bon après tout ? J'avais décidé de ne pas laisser tomber, jusqu'à ce que je la rencontre. Si belle, si attirante. Au début, je voulais seulement coucher avec elle, l'ajouter à mes nombreuses conquêtes. J'étais certain que le Dieu des Enfers me confierait la tâche la plus monstrueuse tant il en serait jaloux, et ça me plaisait d'y penser. Le truc, c'est qu'elle était très intelligente. La plus intelligente de toutes les secrétaires que je connaisse. Et au lieu de vivre une belle histoire de sexe, on a commencé à vivre une belle histoire d'amour. Avec du sexe aussi, mais c'était tellement plus profond. Elle me connaissait mieux que quiconque. De toutes façons, personne ne me connait. Et elle m'aime pour ce que je suis. De mon côté, c'est comme une dépendance. J'ai besoin d'elle. Tout ce qui est noir en moi s'envole quand je suis avec elle. Je manque tellement de confiance en moi, et je sais que je suis un monstre. Seulement elle, elle me voit différemment, comme si au fond les monstres pouvaient avoir du bon. Le truc, c'est qu'elle passe beaucoup de temps en France, loin de moi. Et quand elle n'est pas là, je perds tout mes repères, je sombre à nouveau. Et comme je sais qu'elle mérite mieux que moi, il m'arrive de croire qu'elle a un amant. Je ne pourrais pas lui en vouloir, car m'avoir moi est le pire des supplices. Cependant, j'en souffrirais tout de même énormément.

Quand je me réveille à ses côtés, j'ai l'impression d'être au paradis. Le mieux, c'est quand elle dort encore. Et ce matin là, quand je m'étais réveillé, elle dormait encore. Son visage était si paisible, comme si rien ne pouvait la déranger. Elle était belle, elle était même magnifique. De toutes façons, même quand elle était moche, pas réveillée, énervée, pas coiffée, je la trouvais belle. J'ai arrêté de me dire que l'amour ça rendait ridicule, même si j'en suis la preuve vivante. Je la contemplais, purement et simplement. Ca m'empêchait de penser à ce monde de merde derrière les murs de chez nous. Ca m'empêchait de me lever pour aller me servir un bon verre d'alcool. Juste pour me réveiller, et me détendre. Mais je restai là, sur le lit, à la regarder. Mes doigts glissaient doucement sur sa joue, je prenais tout de même soin de ne pas la réveiller. Pourquoi ? Pourquoi m'avait-elle dit oui ? Pourquoi avait-elle accepté d'épouser un monstre tel que moi, sans coeur, sans aucune bonne volonté, sans rien de bon. Ah si, j'étais encore bon à satisfaire son désir de temps en temps. Mais c'est tout. Alors pourquoi. Elle qui pouvait trouver cent mille fois mieux. J'étais bien le pire être de cette planète, pire même qu'un loup ou qu'un phoque. Je n'étais pas humain, j'étais un mammifère, le pire des mammifères. Seulement, j'avais beau chercher, je ne comprenais pas… « Pourquoi ? » Je l'avais pensé tellement fort que je l'avais dit à haute voix.