A la naissance de mon frère, à Sacramento en Californie, tout le monde était heureux. Le premier enfant d’un couple qui s’aimait, un petit garçon. Le temps passa et six ans plus tard j’arrivai. Une petite fille, tout autant attendue que Johnathan. Un deuxième bonheur. Un bonheur tellement grand que l’on ne ressent ça qu’en de rares exceptions et seulement quelques fois dans sa vie… Cependant, la grossesse faisait souffrir ma mère. Au moment d’accoucher, une douleur terrible lui transperça le corps d’après ce qu’on m’a dit. Je n’avais pas mal, je n’ai même pas éprouvé la moindre douleur, tandis que ma mère souffrait le martyr. Quelques dizaines de minutes plus tard, elle décédait.

J’étais à peine née, je ne ressentais rien. Rien d’autre que la faim, le froid, et la chaleur réconfortante émanant de mon père et de mon frère. Mon père qui, malgré tout son amour pour moi, avait du mal à s’occuper de celle qui avait tué sa femme. Il restait en retrait et mes premiers mois furent difficiles pour mes proches, rongés entre l’affection et la répulsion. Leur tristesse n’eut pas eu le temps de m’affecter puisque quelques mois après seulement, on détecta un cancer des poumons à mon père. Trop tardivement. Il mourut environ un mois plus tard, sans l’avoir dit à ses enfants. Plutôt dire sans en avoir parlé à son fils âgé de 6 ans seulement, qui était déjà abattu par la mort de sa mère. Je ne sais pas comment John a fait pour tenir le coup mais je pense que si ç’avait été moi je n’aurais réussi.

Ma tante hérita de toute la fortune de notre famille et nous accueillit chez elle, à New York, comme si nous étions ses propres enfants. J’ai donc toujours considéré ma famille comme mon frère et ma tante, puisqu’avant j’étais trop petite pour m’en rendre compte. Mon frère m’a tout d’abord détestée, me prenant pour responsable de la mort de ma mère et celle de mon père, responsable du malheur qui s’était abattu sur notre famille, puis je suppose qu’il a fini par se raisonner. Les choses entre nous se sont arrangées, et même si je garde un souvenir éprouvant de mon enfance, je ne changerais pour rien au monde la vie que j’ai aujourd’hui.

En effet, lorsque je pense à moi petite, je me vois, repoussée par mon frère, élevée par une femme qui n’est même pas ma mère et qui m’explique que justement celle-ci est morte, plus ou moins par ma faute, et mon père juste avant de la suivre avait des sentiments mitigés envers moi. Comment bien grandir lorsque les deux seules personnes au monde qui sont censées vous chérir ne sont plus là ? Et comment réussir à vivre normalement quand on apprend qu’elles ne vous aimaient peut-être même pas ? C’est dans ce fouillis de questions que naquit ma passion pour les arts.

Les arts sont une façon intéressante de répondre aux questions ou justement, de les éviter. Lorsque je joue d’un instrument, j’ai l’impression que la mélodie s’enroule autour de moi et s’envole, accrochant mes problèmes et mes pensées au passage. Cela me soulage. Ça me permet de m’évader comme certains préfèreraient le faire en accumulant de l’adrénaline, ou bien en courant, en lisant. Chacun à sa propre activité. De plus, les sujets de l’ordinaire me fascinent et j’adore me poser des questions sur tout, sur la vie, sur la merveille qu’est la nature, ou la technologie et ses impacts. J’ai parfois envie d’agir sans réfléchir mais c’est vrai que je suis de nature plutôt réfléchie.

Le fait d’avoir déménagé de chez ma tante pour vivre avec mon frère depuis peu, m’a pas mal aidé à être au calme. Peu de personnes comprennent que ma « bulle » faite d’art et de tranquillité me convient très bien. Donc je ne les laisse pas rentrer. Seul mon frère ne m’oppresse pas, je suis vraiment attachée à lui et j’adore qu’il me raconte ses histoires. Je le conseille ou alors je ne fais qu’écouter, parfois ça suffit. Nous sommes très francs et très solidaires entre nous. Parce que même si notre histoire m’a moins affecté que lui, qui en a vraiment souffert, j’ai compatis à sa douleur de voir disparaître les gens qu’on aime. Je ne sais même pas ce que ça fait d’avoir des parents ! Donc on apprend l’un de l’autre, et on avance, toujours. J’adore aller le voir jouer au foot, ça lui plais tellement. En fait je crois que le voir heureux me suffit pour être heureuse, il en a tellement bavé dans la vie, et surtout tellement jeune à cause de moi que je suis contente que tout aille bien maintenant. Il a quelques petits soucis amoureux en ce moment mais rien de pire que ce qu’il a déjà vécu d’après ce que j’ai cru comprendre