I've been down and I'm wondering why these little black cloud keep walking around with me

→ décembre 2009, quartier du Bronx
« C'est bon, on le laisse ça. » Il lâche la batte de baseball, le souffle court. Les sourcils froncés, il s'essuie négligemment son front humide avant de regarder ses mains. Des entailles se sont ouvertes sur les phalanges, mêlant son propre sang à celui de sa victime, toujours étendu sur le sol. Du bout de sa batte, il retourne le corps inanimé et ensanglanté. Le visage est tuméfié, tout comme le corps. Se remettre d'une telle raclée ne sera pas simple mais pourtant, le regret ne fait pas parti des sentiments qui le traversent en ce moment même. Dans son cœur il n'y a que la rage. Une main se pose sur son épaule. « On décampe. Bouge toi. » Le jeune homme se retourne vers son acolyte, toujours sous le coup de l'adrénaline. Ce n'est pas la première fois qu'il a à tabasser un idiot un peu trop bavard pour couvrir le trafic. Trafic entretenu à la va-vite, mal organisé, monté sur un coup de tête par des gamins tout juste sortis de l'enfance mais il a suivi. Pas pour la drogue ou pour l'argent, tout ça il s'en fiche bien. Non, sa seule motivation était la violence que cette organisation lui permettait de dévoiler. Noah, un gamin mal dans sa peau, mal dans sa vie, élevé par une mère espagnole coupée de la société américaine par sa pratique approximative de la langue anglaise, un père toujours absent, des frères et sœurs trop petits pour le remettre sur le droit chemin. Un résumé simple mais qui au fond s'avère bien plus parlant qu'un roman de deux mille pages. Il remonte la rue, la batte posée sur son épaule, se souciant peu de ce que peuvent penser les gens dans ce coin sombre du Bronx. Mais soudain, l'autre homme qui se tient à ses côtés jette un coup d'oeil derrière son épaule avant de se mettre à courir aussi vite que possible. Par réflexe plus qu'autre chose, Noah ne tarde pas à l'imiter mais trop tard. Les gyrophares se mettent en route accompagnés de cette sirène qui terrifie tous les malfrats du Bronx. Assez rapidement, un coup de feu file dans le silence de la ruelle. Réflexe à nouveau, le jeune homme se jette à terre. Ces flics ne se gêneraient pas pour lui tirer dans le dos si ils savaient viser et il ne veut pas prendre le risque. Personne ne regretterait le gamin du Bronx devenu l'homme de main du dealer du quartier. Les menottes glissent sur ses poignets alors qu'une main peu assurée tente de le soulever. Il pose son regard froid sur l'agent à peine plus petit que lui, le menaçant silencieusement. Il aurait parié que celui-ci aurait tout donné pour ne pas se retrouver affecter au Bronx et encore moins avoir à prendre en charge un gars comme Noah. Bien sûr, il ne va pas riposter et risquer d'aggraver son cas. La prison est une case obligatoire pour ceux qui finissent mal comme lui, il fallait s'y attendre. Et s'y habituer. La peine risquait d'être longue, vraiment longue.

I look around at a beautiful life, been the upperside of down, been the inside of out. But we breathe

→ juillet 2011, prison de Rikers Island
Il s'avance dans le couloir, main dans les poches de sa combinaison orange. Il a connu plus agréable comme tenue de tous les jours mais au bout de presque un an de détention, il a bien fallu s'y habituer. Enfin le parloir. Depuis le début de sa peine, il n'a vu sa mère qu'au tribunal et n'a pas pu lui dire un mot. Seulement la voir pleurer à n'en plus finir. C'est certainement l'image qui l'a le plus blessé même si il n'est pas question d'en parler à qui que ce soit ici. Heureusement, son visage ne porte pas de marques de coups, elle n'aura pas à s'inquiéter de la santé de son fils. Enfin, si elle est là pour ça. Pourquoi lui rendre visite maintenant, alors que ça fait plusieurs mois qu'elle n'a pas cherché à entrer en contact avec lui ? Pas même un courrier encore moins un parloir, rien du tout. Cependant, c'est serein qu'il rejoint sa place dans la ligne des petites cases qui servent à discuter avec les proches. De l'autre côté de la vitre, sa mère. Elle n'a pas changé, c'est toujours la petite femme espagnole, la mine triste, qui le fixe. Après un long moment de silence entre eux deux, elle finit par décrocher le combiné de téléphone pour entamer leurs conversation. Sa voix est froide et elle s'exprime toujours dans son espagnol maternel.
« Quand es-tu libéré ? »
Il la regarde sans répondre. C'est fou ce que sa voix avait pu lui manquer. Au fond, il aimerait lui dire à quel point il est désolé pour tout ça, à quel point les choses seront différentes à sa sortie, même si il n'est pas sûr d'avoir le courage de changer de vie. Au moins il lui aurait donné un peu d'espoir. A la place, il se racle la gorge avant de lui répondre dans la même langue.
« L'avocat m'a obtenu une remise de peine. Je sors le mois prochain. »
Elle hoche de la tête mais ne semble pas ravi. Le jeune homme fronce les sourcils. Il connaît ce regard. Elle lui cache quelque chose.
« Mamma, qu'est-ce qui se passe ? »
Elle ne dit toujours rien et cette situation commence à agace Noah. Mauvaise idée de péter un plomb au parloir alors qu'il est entouré d'agents et qu'il risque par la même occasion sa remise de peine. Elle soupire profondément avant de se remettre à parler comme si elle économisait ses mots. Comme d'habitude. Sauf que son ton était à présent inquiet, comme si elle redoutait la réaction de son fils.
« Amy est venue me voir le mois dernier. »
Il la regarde sans comprendre. Amy, cette fille camée avec qui il avait couché quelques semaines avant de se faire arrêter. Amy, cette fille dont il se fichait complètement. Qu'est-ce qu'elle venait faire chez sa mère. Voyant l'air interdit de son fils, elle reprend son discours, semblant de plus en plus redouter la suite des événements.
« Elle m'a laissé quelque chose. »
Il n'y croit pas. Cette tarée lui a laissé de la drogue ? Hors de question que sa mère soit liée à ses trafics.
« Mamma ! Tu n'as pas à accepter cette merde ! Tu t'en débarrasses et tout de suite, dès que tu rentres ! Tu sais dans quel bordel ça va me mettre si les flics tombent sur de la came chez ma mère ? »
Elle le regarde, presque désolée.
« C'est pas de la drogue Noah. »
Un nouveau silence finit de pousser à bout la patience du jeune homme. Est-ce qu'elle va finir par parler oui ou non ?
« C'est ta fille qu'elle m'a laissé. »
Le monde semble s'être arrêté à ce moment précis. Il la regarde sans comprendre, les yeux grand ouvert. Sa fille ? Voyant que son fils n'est pas prêt d'exprimer sa réaction, la mère se remet à parler. Elle est plus sévère à présent, comme si elle le forçait à prendre conscience de la réalité.
« Elle s'appelle Elsa et elle a eu un an au début du mois. Je vais m'en occuper jusqu'à ta sortie mais après il faudra que tu trouves un travail ! Elever un enfant coûte cher ! Et il faudra trouver un appartement ! J'ai déménagé à Brooklyn mais c'est trop petit pour toi et la petite. Il faut que tu changes maintenant. Tu n'as plus le choix. »
Il n'arrive même pas à parler, ne prenant pas conscience de ce qu'il se passe. Sans un mot, il repose le combiné du téléphone malgré les appels de sa mère, le priant de ne pas partir comme ça. Mais il trouve à peine la force de se relever et de regagner sa cellule. Qui aurait pu croire alors que le petit malfrat du Bronx tomberait littéralement en amour devant cette petite fille brune aux yeux verts, que pour elle, il allait changer de vie.

I wanna breeze and an open mind, I wanna swim in the ocean, wanna take my time for me, all me

→ mai 2012, Upper East Side, Manhattan
« Sushishop bonsoir. J'ai une commande pour Madame Rosenwood. »
Après avoir montré son badge d'employé, le portier le laisse passer. La journée avait été épuisante et après cette commande, il serait enfin libre d'aller chercher Elsa chez sa mère et de rentrer chez lui. Ce job était vraiment dépourvu d'intérêt. Livrer des stupides plateaux de sushis à des riches imbus d'eux-mêmes … Mais il n'avait pas le choix. Il fallait bien s'adapter au besoin de sa fille et au programme de réinsertion des personnes incarcérées. Et encore, il avait fait beaucoup de chemin depuis les travaux publics et autres jobs encore plus rabaissants que celui-ci. Mais au moins, tous les mois un chèque tombait sur son compte et il pouvait subvenir à ses besoins, ceux de sa fille et aider un peu sa mère et ses frères et soeurs. Il ne gagnait pas des millions mais ça lui suffisait pour être heureux. Tant qu'en rentrant, il pouvait retrouver sa fille et son traintrain confortable, il ne demandait pas à être président des Etats-Unis bien qu'il ne dirait pas non au salaire qui va avec. Après tout, que demander de mieux ? Le week-end, il trouvait le temps d'aller entraîner les gamins du quartier au basket. Les occuper avec du sport les empêchait au moins de faire des bêtises et de mal tourner, comme lui. Il en avait déjà tiré plusieurs de mauvaises situations et aujourd'hui, il pouvait enfin se servir de son expérience pour empêcher aux plus jeunes de finir comme lui. Il arrive enfin à l'étage de cette Madame Rosenwood qui ne tarde pas à lui ouvrir la porte. Si il s'attendait à découvrir une femme aussi jolie, c'est sur qu'il aurait un peu arrangé ses cheveux dans le rétro de son scooter de service. Un peu perturbé par cette apparition, il en oublie de lui tendre le billet de reçu à signer.
« C'est un grand plateau pour une femme seule. »
Il lui lance un sourire charmeur qu'elle lui rend en levant la tête du reçu.
« Qui vous dit que je suis seule ? »
Il ose les épaules sans cesser de sourire.
« L'instinct peut-être. Ou le fait que si j'avais la chance de partager une soirée avec une femme aussi belle que vous, je ne vous laisserai pas ouvrir la porte au livreur de sushis. »
Elle rit discrètement avant de poser son regard de braise sur le jeune homme.
« Et vous avez peut-être un meilleur plan à me proposer ? »
« Mon service est terminé et il paraît que je peux être assez mar... »
Mais il n'a pas le temps de finir sa phrase que déjà, elle lui ouvre la porte en grand en l'attirant vers l'intérieur. Comme quoi, tout job a ses avantages cachés, surtout quand on a un joli sourire.
→ même jour, quelques heures plus tard, Brooklyn
« Mamma ! Ouvre ! »
Il frappe encore une fois à la porte, répétant ce même geste depuis maintenant vingt minutes. Enfin, la porte de la petite maison s'ouvre sur sa mère, enroulée dans sa robe de chambre. Elle lui lance un regard froid, du haut des marches du perron.
« Elsa dort. Repasse demain. »
Alors qu'elle est sur le point de refermer la porte, il la bloque avec son pied.
« Tu n'as pas le droit de m'interdire de reprendre ma fille. »
Un nouveau regard froid. Elle est visiblement en colère.
« Je ne vais pas la réveiller parce que son père préfère traîner le soir plutôt que de s'occuper d'elle. Maintenant va-t-en. »
Aussitôt, elle claque la porte, manquant de lui couper les doigts au passage. Ce n'est pas parce qu'il a accepté de prendre la charge de sa fille et de s'en occuper qu'il est devenu un père modèle il faut croire.