« Vieillir c’est se rappeler son enfance » Thomas Bernhard.
Je suis là, assis en tailleur dans mon lit et je fais le point sur ma vie. Mon enfance? Mon enfance a été merveilleuse. Pour commencer, Maman était en pleine forme. Elle était libre de faire ses propres choix, nous n’avions aucune contrainte et nous sommes souvent partis en voyage. Mes meilleurs souvenirs en famille? Ce sont des souvenirs de vacances je crois. On partait tous les ans en France puis en Espagne. Ma mère a toujours adoré l’Europe, mais elle affectionnait tout particulièrement ces deux pays. Pourquoi? C’est simple. Elle et mon père se sont rencontrés à Madrid et ils ont passé leur lune de miel à Paris. Quoi de plus romantique? Bien que très occupé par son travail, Papa essayait de passer un maximum de temps avec nous, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous étions une famille soudée et épanouie. Nous vivions dans un grand quartier résidentiel où j’avais un tas de copains. Le dimanche nous allions même à la messe, parce que comme la plupart des familles américaines, nous sommes très croyants. Je me souviens avoir été dans la meilleure école privée de la ville. Papa est propriétaire d’un grand restaurant et ma mère était directrice d‘une école primaire. Autant dire qu’à eux deux, ils gagnaient plutôt bien leur vie. Alors oui, j’ai peut-être été élevé dans le luxe et l’opulence, maintenant me qualifier de fils à papa, prétentieux et arrogant ne serait ni plus ni moins qu’un énorme cliché. Je ne suis pas comme ça, je ne l’ai jamais été. Pour la simple et bonne raison que mes parents sont des personnes admirables qui ont toujours su rester humbles. Ils ont toujours été foncièrement généreux et prêts à aider leur prochain. Quand j’étais petit garçon, ils avaient pour habitude de me répéter: "Sois gentil et respectueux avec les autres, ne juge pas trop vite et tend la main, car après tout, qui sait de quoi demain sera fait?" Je crois que je n’ai jamais su où ils voulaient en venir. Tout du moins, je ne l’ai compris que bien plus tard, mais ça c’est une autre histoire.

« La maladie de l’adolescence est de ne pas savoir ce que l’on veut et de le vouloir cependant à tout prix » Philippe Sollers.
J'avais 14 ans la première fois que ma mère est tombée malade. Je l'ai trouvé en rentrant un soir. Comme d'habitude, mon père brillait par son absence. Ce qu'il faut savoir c'est que leur relation de couple s'est extrêmement détériorée. Le principal fautif? Mon demi-frère. Cet égoïste, cet être abjecte, ce... Je le déteste. Pour faire court, disons qu'il s'est débrouillé pour semer la zizanie dans notre quotidien. Conrad a toujours été un garçon psychologiquement instable. Il n'a jamais accepté que notre père quitte sa mère et refasse sa vie. Il n'a pas supporté qu'il ait un autre enfant et passe - accessoirement - plus de temps avec lui. J'en conviens tout à fait, mon père s'y est pris comme un pied avec son fils aîné. A défaut de lui donner autant d'argent, il aurait mieux fait de passer plus de temps à ses côtés. Mais il n'en a rien fait. Alors, Conrad a commencé à faire n'importe quoi. Il s'est mis à voler, à mentir et à se battre. S'il se droguait? Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'il rentrait souvent ivre. Parce que le problème c'est qu'il a fait tellement de conneries que sa mère a fini par le mettre à la porte. Ayant elle-même refait sa vie, elle s'est retrouvée avec des triplées en bas-âge et ça plus les débordements de Conrad, elle ne pouvait pas. Ma mère dans sa grande bonté d'âme a proposé qu'il s'installe dans la chambre d'amis. Grossière erreur de sa part... Il nous a rendu la vie infernale. Ma mère avait beau tout faire pour le rendre heureux, elle avait beau l'aimer comme un fils, ce n'était jamais assez. Conrad trouvait toujours quelque chose à redire. Il l'a détestait, ils nous détestait et tout ce dont il avait envie c'était de détruire notre famille. Il est presque arrivé à ses fins. Faut voir toutes les choses affreuses qu'il a pu inventer au sujet de ma mère. Un jour, il a même été jusqu'à demander à un de ses copains de le frapper pour faire croire que ma mère le battait. Je devrais avoir honte de dire ça, mais je crois que je n'ai jamais été aussi fier de mon père que le jour où il a décidé de le mettre à la porte. Aujourd'hui? Conrad est un étranger. Il m'arrive de le croiser, mais j'ai décidé de l'ignorer. Pourtant, il a changé. C'est ce que mon père se tu à me répéter en tout cas et, c'est vrai qu'il semble avoir évolué. Il s'est trouvé un travail, il est fiancé et sur le point de devenir père à son tour. Mais j'en sais rien... il a fait tellement de mal à notre famille que j'ai fini par arrêter d'essayer avec lui. Pour être tout à fait franc, aux jours actuels, mon demi-frère est le dernier de mes soucis. Le cancer de maman s'est généralisé, il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Les médecins nous avaient pourtant annoncé une rémission, on pensait tous qu'elle avait vaincu la maladie, mais non. Je pensais qu'elle avait encore des années devant elle. Je pensais avoir le temps de lui faire des petits enfants, mais il faut croire que je me suis simplement bercé d'illusions.

« La vie n'est ni un spectacle ni une fête ; c'est une situation difficile » George Santayana.
Où j'en suis aujourd'hui? Nulle part. Disons simplement que je m'efforce de continuer à vivre. Ma mère bien qu'en stade terminal refuse que je m'apitoie sur son sort, elle veut vivre pleinement le peu de temps qui lui reste et j'imagine que je lui dois bien ça. Alors, je fais en sorte de ne pas lui causer de soucis. Je souris, même si le cœur n'y est pas vraiment. Si mes parents sont toujours ensemble? Oui, mais je crois qu'ils ne s'aiment plus depuis longtemps. Quand on a appris que maman était malade, ils n'arrêtaient pas de disputer, les choses allaient très mal entre eux, mais mon père est quand même resté. Au départ, je crois qu'ils avaient vraiment envie d'essayer. Au final, mon géniteur se sentait juste coupable. Piégé. Contraint de rester auprès de cette femme que jadis, il a aimé. Vous l'aurez compris, l'ambiance n'est pas géniale à la maison. Pour l'instant, j'ai décidé de rester vivre chez mes parents, de façon à être constamment auprès de ma mère - qui refuse de finir ses jours dans un hôpital. Mais une fois qu'elle sera partie, je compte bien me trouver un petit appartement. Je tiens à être indépendant. Je ne m'entends pas très bien avec mon père et le fait qu'il passe de plus en plus de temps avec Conrad me met très en colère. Je sais bien que c'est son fils, mais je ne comprends pas qu'il ait pu lui pardonner tout le mal qu'il nous a fait. D'ailleurs, je n'aurais jamais pu traverser toutes ces épreuves sans l'aide précieuse de Kate. Ma cousine, mon ange, ma meilleure amie. Toujours prête à me consoler, à m'épauler, dans la joie comme dans la tristesse, à la différence près que nous ne sommes pas un couple marié.