→ Tu souffles encore une fois. Une énième fois depuis le début de la soirée. Ton regard se porte sur le rail de poudre que tu as tracé toute à l’heure. Tu en as envie. Putain, tu mourrais pour la sentir dans tes narines. Au lieu de quoi, tu restes immobile, à tergiverser. Allez, c’est simplement une petite ligne. Rien de bien grave. Elle sera vite évacuée par ton organisme le lendemain. Allez, laisse-toi aller. Tu le mérites tellement. Après tous les sacrifices que tu as faits ces derniers mois, ce combat acharné que tu as mené, sans jamais flancher. Tant d’efforts méritent forcément récompense non ? Oui, ma belle, tu l’as dûment gagné. Alors, cesse de te poser des questions inutiles et agis bon dieu de bonsoir. Excuse-moi, je sais que tu ne supportes pas que les termes bibliques soient dits en ta présence mais te voir t’interroger sans cesse, à te prendre la tête sur des choses qui n’en valent guère la peine me fais sortir de mes gonds. Pour une fois, passe à l’acte. Après tout, tu n’as plus rien de précieux pour lequel te battre et ne dit-on pas que c’est lorsqu’on a tout perdu qu’on est libre de faire ce qu’on veut ? Efforts vains, attente vaine, espoirs vains. Pour une fois de ta vie laisse-toi aller bordel ! Penses-tu vraiment que cela fera une différence que tu restes affalée sur ton canapé, te mordant violemment la lèvre inférieure afin de résister ou que tu ailles prendre place devant la table basse et fais ce pour quoi tu es douée, te détruire ? Crois-moi, c’est du pareil au même. Ton existence n’est qu’amoncellement de futilités dont la fin n’aurait aucun impact. Laisse-moi te dire une chose, chose que tu devrais sans cesse garder en mémoire. Non. Tu ne manques nulle part, tu ne laisses pas de vide. Tu as glissé hors du monde et il est resté plein. Comme un œuf. Il faut croire que tu n'étais pas indispensable. Tu aurais tellement voulu être indispensable. A quelque chose ou à quelqu'un. Mais ce n’est pas le cas. Tu n’es qu’un putain de tas d’humus en décomposition, rien de plus, rien de moins.

Tu te lèves. Démarche lente et bancale. Tu te glisses comme je l’avais prévu devant la poudre. Aucune hésitation n’est permise. Avec l’expertise d’une habituée, tu sniffes, tu inhales, tu consommes, tu te dégoûtes. Tu vois, il suffisait simplement de trouver les mots justes et tu retrouverais le chemin. Tu fermes les yeux et patientes. Le virus se répand rapidement dans ton organisme. Béate, un grand sourire illumine ton visage creusé par la privation. Si quelqu’un pénètre dans ton taudis à l’instant précis, nul doute qu’il t’envierait, toi, qui semblais avoir trouvé le raccourci menant au bonheur. Dommage que tout ne soit que songes fantasmagoriques, oasis censé redonné un peu d’éclat à ton âme fissurée. Tu te sens mieux. Bien mieux. Ne te l’avais-je pas dit ? Il faudrait qu’un jour tu cesses de te flageller de questions et que tu fonces. Ne t’inquiètes pas pour moi, je ne t’en veux pas. Je comprends tout à fiat que tu aies besoin de ça. Entre les illusions et la réalité, le choix est vite fait. Sans doute en aurais-je fait de même. Après réflexion, j’aurais pu faire ce que tu n’auras jamais le courage d’accomplir, m’ôter la vie. Ce serait tellement plus simple, mais tu tiens à faire pénitence, fait que je n’ai et ne comprendrais sûrement jamais. Requinquée, tu te diriges vers ta chambre et enfile une tenue décontractée avant de sortir. Profil droit, pas assurés, ta mine cadavérique ayant cédé sa place à quelque chose de plus humains, tu sembles être une autre personne. Tu sembles…vivante. Belle illusion, joué avec les apparences, tu as toujours su y faire. A force d’y croire, peut-être finiras-tu par t’en persuader ? On dit plus longtemps on revêt un masque, plus on finit par le considérer comme une seconde peau, attendons de voir s’il en sera de même pour toi, qui sait.

Quand tu arrives, l’ambiance est au rendez-vous. La foule en liesse hurle à s’en péter les cordes vocales. Les haut-parleurs crachent une musique si puissante que tu as l’impression que tes oreilles saignent au fur et à mesure de ta progression. Tu n’aimes pas ce genre d’endroit. Mais ce soir, tout est différent. Tu es différente. Tu t’avances au milieu des gens et te laisses emporter. Tu danses. Tu tournoies. Tu voles, libre et captive, vivante et éteinte. Antithèses auxquelles tu t’es depuis longtemps habituée. Pas exactement, tu ne t’en soucies pas, tout simplement. Et puis tu t’arrêtes. Soudainement. Brutalement. Le souffle te manque. Ton regard fixe un point invisible. Le vide dans ta cage thoracique semble peser des tonnes. Tu te laisses tomber au sol, écrasée sous le poids de tes regrets. Tu comprends. Tu prends conscience que plus rien n’a d’importance. Défoncée, tu n’as jamais été aussi lucide que maintenant. A tes côtés, l’agitation se poursuit. La musique continue. Les gens crient toujours. La terre continue de tourner. Et toi, tu restes là, comme une idiote, à attendre. Personne ne fait attention à ton sort, je doute d’ailleurs qu’ils aient remarqué ce corps maigre lacéré par les assauts incessants du destin. Fantôme, tu déambules parmi tes pairs sans être vue, condamnée à hanter sans cesse les recoins de rue. Tu n’existes pas Voï, tu n’as jamais existé. Et il était temps que tu ouvres les yeux.

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