→ Eden posa son stylo et s’étira longuement, baillant à plusieurs reprises et observant sa feuille noircie de notes avec fierté. Elle crut entendre son nom au loin, mais n’y prêta pas attention, bien trop préoccupée par le devoir qu’elle devait rendre le lendemain et qu’elle venait d’achever après des heures passées à le fignoler.
La jeune fille tourna la tête et croisa son propre reflet lorsque ses yeux rencontrèrent le miroir de sa chambre. Elle était effrayante. Ses cheveux avaient été noués en un haut chignon qui était retombé au fil des heures et qui pendait désormais lamentablement dans son dos. Ses yeux injectés de sang et ses cernes gigantesques n’étaient que la conséquence des nombreuses heures de sommeil manquées et tasses de cafés ingurgitées. Elle entendait presque sa mère lui dire que son teint était cadavérique. C’était le mot. Cadavérique. Elle baissa les yeux sur ses mains tachées d’encre bleue et soupira.
Depuis qu’elle était rentrée de France il y a de cela quelques mois, Eden se consacrait plus que jamais à ses études de médecine.
... Tu devrais faire une pause, Ed. ... Tu te surmènes, Eden. ... Sors un peu le nez de tes bouquins. ... Et sinon, à part étudier, tu fais autre chose de tes journées? ...
Les voix de sa famille et de ses amis retentissaient inlassablement à ses oreilles. Elle se laissa tomber sur son lit sans même débarrasser son bureau jonché de papiers froissés, chose qui la contrariait en temps normal. Sa maniaquerie atteignait parfois des sommets. Peut-être bien qu’elle se surmenait trop, songea-t-elle. Peut-être qu’une pause lui serait bénéfique après tous ces efforts? Mais la médecine était un domaine difficile et les études étaient laborieuses, Eden le savait. Elle refusait de rater ses concours, de décevoir ses professeurs, de foutre en l’air tout ce qu’elle avait déjà réussi à accomplir, tout ce qu’elle avait apprit en France, tout ce qu’elle continuait d’apprendre chaque jour.
Mais c’était un véritable sacrifice. Sa vie sociale était certainement celle qui en payait le plus le prix. Sans mentionner sa vie amoureuse inexistante. Eden était tellement prête à tout pour réussir qu’elle en oubliait tout le reste. Devenir médecin était son rêve, son goal ultime, la chose pour laquelle elle se battait chaque jour. Perfectionniste dans l’âme, elle refusait de lâcher prise tant que tout n’était pas assez bien à son gout. Au dépend de tas d’autres choses telle que le reste de sa vie, en l’occurrence.
Elle se leva, la gorge serrée, et commença à ranger distraitement son bureau. Samedi soir. Un énième samedi soir passé à travailler, songea Maxeene. Travailler pour ton avenir, lui rappela une petite voix. Un énième samedi soir passé à enterrer ta vie sociale un peu plus profondément, fit remarquer une seconde voix. Dire que t’es majeure, et que t’en profites même pas, ajouta-t-elle.
Son téléphone vibra bruyamment et sortit la jeune fille de sa conversation avec elle-même. Un message de Katia, une de ses amies qu’elle n’avait pas vue depuis son retour de France apparut sur l’écran, lui proposant d’aller boire un verre. Pour la première fois en plusieurs mois, Eden n’effaça pas le message sans y répondre. Elle accepta après quelques secondes d’hésitation, envoyant une réponse rapide et partit se préparer, songeant que c’était sûrement un coup de pouce du destin.

Une heure plus tard, Eden se retrouva sur le trottoir d’un bar branché, vérifiant son téléphone toutes les trente secondes en attendant Katia. Elle était terriblement nerveuse, et se força à respirer profondément. Ce n’est qu’une sortie entre amies, détend toi, se répéta-t-elle inlassablement. Enfin, après une dizaine de minutes qui lui parurent être des heures, elle aperçut la chevelure blonde platine de son amie à quelques mètres en bas du trottoir.

- Katia ! s’écria-t-elle, le sourire au lèvres.