« Aedan c'est la troisième fois que l'on m'appelle pour me dire que tu étais parti. A quoi tu joue ? » L'assistante sociale me fixe longuement avant de soupirer. Je n'ai que dix ans et je lui donne du fil à retordre depuis plus de cinq ans désormais. « Je n'aime pas cette famille. Ils ne sont pas gentils et il me déteste. » Cette fois, je crois qu'elle va réellement perdre patience. Un policier entre dans la pièce pour nous demander si tout va bien et cette fois c'est moi qui soupire. Je voudrais juste sortir d'ici, je voudrais que l'on me laisse tranquille. « Tu sais très bien que c'est la dernière famille que j'ai pu te trouver. Si tu continus comme cela tu vas retourner au foyer Aedan et je ne pourrais plus rien pour toi jusqu'à ta majorité. » J'ai envie de lui répondre que de toute manière personne ne peut plus rien pour moi depuis des années déjà, mais je préfère me taire. Voilà à quoi ressemble ma vie. A dix ans, je devrais être un garçon totalement épanoui qui possède tout un tas de copains et une famille aimante. Mais je suis juste un orphelin qui est trimbalé de famille d'accueil en famille d'accueil. Je ne reste jamais longtemps dans ces nouvelles familles. Soit le père est violent, soit personne ne ce souci de moi. On m'accueille uniquement pour l'argent que cela rapporte. Je suis toujours la pièce rapportée. Mes parents ne voulaient pas de moi et j'ai l'impression que cela ne cesse de me poursuivre. Selon mon dossier, mon père est un inconnu au bataillon et ma mère était une droguée notoire qui a préféré abandonner son bébé sur les marches d'une église plutôt que de s'occuper de lui. Je ne sais même pas pourquoi je m'appelle Aedan Isaac Callaigh. On m'a dit qu'Aedan était le prénom inscrit sur un bout de papier lorsque l'on m'a trouvé. Pour le reste, cela est un véritable mystère. Au moins, ce n'est pas quelque chose de trop moche et personne n'a eu la bonne idée de m'appeler John Doe. Enfin. Ce jour-là, l'assistante sociale à tout de même réussi à me renvoyer dans ma famille d'accueil. Je sais très bien pourquoi ils ont accepté de me reprendre, parce qu'on allait leur verser un peu plus d'aide financière. Vous comprenez, ce n'est pas facile de s'occuper d'un gosse que l'on n'aime pas. J'ai grandi dans un monde où j'étais persuadé que personne ne m'aimait. J'avais bien des copains à l'école, mais je faisais toujours tout pour ne pas m'attacher. On ce moquais souvent de moi. J'étais le garçon qui n'avait pas de famille. Les enfants sont cruels entre eux...

A dix-huit ans, j'ai enfin eu le droit de faire ce que je voulais de ma vie. Adieu les familles d'accueils et tous les problèmes qui vont avec. Je me suis trouvé du travail dans un bar un peu douteux à Brooklyn et grâce à mon salaire j'ai pu me payer un tout petit studio. Vraiment petit le studio. J'avais plus l'impression de vivre dans un placard à balais qu'autre chose, mais bon. C'était mieux que rien après tout et bien mieux que les familles d'accueils. L'assistante sociale qui s'était toujours occupé de mon dossier, m'envoyait un peu d'argent tous les mois. Elle n'était absolument pas obligée de faire cela et je lui avais plusieurs fois demandé d'arrêter, ne voulant pas vraiment que l'on est pitié de moi. Mais visiblement elle s'était attachée à moi. Il faut avouer que c'était une femme attentionnée. Elle avait toujours été gentille avec moi et ce malgré tous les plans foireux que j'ai pu lui faire. Grâce à cela et plus particulièrement grâce à une certaine motivation, j'ai continué mes études. Je ne voulais pas abandonner, il fallait absolument que je m'en sorte dans la vie. Au Lycée, j'étais le mec turbulent et plus ou moins populaire, mais qui avait les meilleures notes de la promotion malgré tout. Je passais mes nuits à réviser. Je n'avais que quelques amis, je pouvais les compter sur les doigts de ma main, mais au moins ils m'étaient fidèles. On était une bonne petite bande et on passait toujours de bons moments ensemble. Côté sentimentale, ce n'était pas vraiment la même chose. Ne voulant pas m'attacher après les nombreuses déceptions familiales que j'ai pu avoir, j'avais du mal... Alors, j'enchaînais les conquêtes, même si je ne désespérais pas à l'idée d'un jour vivre une véritable vie de couple.

Après de longues études et une année complète de chômage à la recherche d'un boulot, j'ai fini par décrocher le job de mes rêves. Le MoMA cherchait un chargé de communication, sans expérience, j'ai quand même postulé. Je n'avais que mon diplôme, mais visiblement l'entretien à suffit pour convaincre les directeurs. Ils m'ont offert le job et je suis devenu le plus jeune chargé de communication du musée. Je n'avais que vingt-trois ans. Mon travail est devenu ma vie. Je gagnais un salaire décent et j'ai enfin pu quitter mon placard à balais pour un petit studio à Manhattan. J'ai commencé à me reprendre en main et j'ai fini par trouver l'amour. Enfin. C'est ce que je pensais. Leah était la femme que j'avais longtemps attendue. Une jolie blondinette qui travaillait au musée à côté de ses études. J'ai tout de suite craqué pour elle. Je ne m'attendais vraiment pas à cela. Je ne croyais pas au coup de foudre et pourtant cela m'était littéralement tombé dessus. On a vécu une histoire de deux ans. Jusqu'au jour où je l'ai surprise avec un autre homme. Autre homme qu'elle fréquentait depuis deux mois déjà... A vingt-cinq ans, je me suis pris une nouvelle claque. J'ai commencé à me poser beaucoup de questions sur ma vie. Je me suis demandé pourquoi personne ne m'aimait plus que quelques mois. Je pensais que tout était de ma faute. Toutes ces questions, toute cette remise en question a failli me mener dans la dépression. Je me suis mis à rejeter mon entourage, je voulais juste être seul encore et toujours. Je me suis renfermé dans mon travail. C'est la seule chose qui me donnait envie de me lever le matin. Cela a duré un peu plus d'un an. Puis j'ai eu un déclic. Une de mes collègues de travail a eu un bébé. Elle est venue avec son petit garçon au travail une fois, pour nous le présenter et j'ai craqué... J'ai compris que j'avais besoin de créer ma propre famille. Je voulais transmettre quelque chose, aimer quelqu'un comme personne ne m'as jamais aimé. J'ai commencé à me renseigner sur l'adoption, mais pour un homme seul et hétérosexuel c'est impossible. J'ai tenté de rencontrer de nouvelles femmes, dans l'optique d'au moins avoir une vie de couple. Mais à chaque fois, c'était la même chose. Cela ne durait que quelques mois et c'était fini... Toujours pour des raisons différentes. Alors, j'ai contacté mon ancienne assistante sociale, pour lui demander de l'aide. Elle m'a alors parlé des mères porteuses. Je pourrais avoir mon propre bébé sans avoir forcément besoin de trouver la femme de ma vie. J'ai longtemps réfléchis à cela et j'ai fini par me décider.

J'ai alors fait la connaissance de Novalee. Orpheline comme moi, elle n'a pas eu la vie facile et à vingt-quatre ans elle était totalement perdue dans sa vie. Elle s'est inscrite dans cette association de mère porteuse pour venir en aide à un couple, mais surtout pour ce faire de l'argent. J'étais tout seul, mais j'ai quand même décidé de tenter ma chance. On c'est tout de suite bien entendu tout les deux. Elle ne voulait surtout pas s'engager dans une relation. Elle ne m'a rien caché de sa motivation qui est l'argent. Je sais aussi qu'elle a eu une sale période où elle s'est prostituée... Mais le courant est réellement bien passer entre nous et elle a accepté de porter mon enfant. On a fait cela bien. Avec un médecin et tout le reste. Je n'ai pas couché avec elle, tout a été fait médicalement. En réalité, Novalee est très rapidement devenue la petite soeur que je n'ai jamais eue. Petite soeur qui après un seul et unique essai a finis par tomber enceinte de moi.

« T'a vu comment je suis grosse ? C'est affreux. Je suis enceinte de quatre mois et je suis déjà énorme. » Il est six heures du matin, Novalee est allongé en travers de mon lit et me regarde me préparer pour aller au boulot. Quelques semaines après qu'on est appris sa grossesse elle a emménagée chez moi. Aujourd'hui notre colocation se passe à merveille même si depuis quelques temps ces hormones la travaillent de plus en plus. « Mais non tu n'es pas énorme. Je le trouve mignon ton ventre moi. » « Normal c'est ton gosse qui se cache dedans. » On se regarde un instant et on finit par exploser de rire. Il ne se passera jamais rien entre nous, c'est certain, mais je ne pourrais jamais assez la remercier pour le cadeau qu'elle est en train de me faire. Grâce à elle, je vais pouvoir devenir papa. Et comme elle me le répète souvent, je suis son sauveur. Je ne me qualifierais pas de cette manière, mais je vois bien qu'elle a changé depuis qu'elle vit ici. « Tu vas voir la jolie fille du cours de grossesse ce soir ? » Intrigué, je me retourne rapidement vers elle et fronce les sourcils. Pourquoi elle me parle de cela d'un seul coup ? J'allais ouvrir la bouche, mais elle fut plus rapide que moi. « Oh te moque pas de moi hein ! Tu as plus d'yeux pour elle que pour moi quand on est là-bas et quand elle a compris qu'on n'était pas ensemble, c'est limite si elle n'a pas poussé un soupire de soulagement. Cette fille te plaît ! » Je connais Novalee que depuis quelques mois et pourtant on dirait qu'elle me connaît depuis toujours. J'ai encore un peu de mal avec tout cela, après tout c'est la première fois de ma vie que cela m'arrive. Pourtant, je sais qu'elle n'a pas totalement tord. « Je l'aime bien c'est vrai, mais elle va finir par retourner avec le père de son enfant, c'est certain. Alors, je préfère ne pas me faire d'idée. » J'ai déjà bien trop souffert. Mais ça je le garde pour moi. Je retourne à mes occupations, mais j'entends tout de même la dernière remarque de Novalee. « Amuse-toi avant que ton petit monstre débarque, ce ne sera pas la même chose après. » Une nouvelle fois, elle a sans aucun doute raison. Mais je ne veux pas m'attacher. Vraiment pas.

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