Ils s'en vont toujours. Il n'y en a pas un qui reste. Ils sont prédestinés à lui briser le coeur encore et encore. Et je suis spectatrice dans un premier temps, puis sécheuse de larmes dans un second. Pour ne pas m'attacher, je les appelle truc, ou bidule, ça dépend. « Hé la gosse, tu vas pouvoir m'appeler papa dans peu de temps ! » « C'est ça truc ! » « Mon nom .. ». Je lui coupe la parole, je m'en fous de son prénom. « Rien à battre de ton prénom ! ». Au moins je suis clair. Ne soyez pas choqué non plus de mon langage. J'ai dix ans, mais les gros mots, les jurons, font partis de moi, de ce que je suis. Lorsque je suis née, ma mère à pousser un. « Oh p'tin de merde, c'est si petit ! ». Pendant le travaille, c'était pire et je ne préfère pas relater les expressions qu'elle a utilisées, je pourrais choquer les âmes les plus sensibles. Je n'ai pas réellement d'éducation. Je vais à l'école, comme tout le monde, mais je n'ai pas de limite. Ma mère travaille de jour, comme de nuit. Et lorsqu'elle ne travaille pas, elle boit, elle fume et elle baise. Du coup chaque semaine, j'ai un nouveau « papa ». Le vrai ne m'a pas reconnu à la naissance. Un mec plein aux as, qui a une femme botoxée, des gosses pourris gâtés, une villa, bref il a une famille et nous n'en faisions pas partis. Ma mère n'est qu'une maîtresse parmi tant d'autres qui a eu le malheur de tomber enceinte. Pourtant il est déjà venu nous voir, nous rendre visite, mais je n'ai pas accroché. Je le déteste et ça ne changera pas. Ma mère n'est pas non plus un exemple, un modèle à suivre. Hippie dans l'âme, elle fait pousser des plantations dans notre salle de bain, couche à droite et à gauche, n'a aucune autorité sur moi, c'est à peine si elle me nourrit convenablement. Car des frites chaque soir, je n'appelle pas ça de la nourriture seine. Malgré que ça soit la pire mère au monde, je l'aime. Elle m'offre de l'amour -et oui hippie c'est peace&love-, un toit à Chicago, ville où je suis née, où j'ai grandi, une famille, bien qu'on soit que deux. Mais elle prend soin de moi tout de même. Ou je prends soin d'elle. Car après chaque rupture, je suis présente à ces côtés. Je serais toujours là pour elle. Même quand bidule ne sera plus là la semaine prochaine et qu'elle sera en train de se consoler en dévorant un énorme pot de glace. Je n'ai pas une enfance de rêve, de beaux parents, une belle maison, mais j'aime ma vie à Chicago. J'aime ma mère.

Elle est partie travailler et il est là. Il me fixe d'un regard qui me déplaît. Voilà quelques mois qu'il fricote avec ma mère et que je dois le croiser chaque matin dans un slip blanc moulant, voir beige tellement il est dégueulasse. Malgré mon jeune âge, je n'hésite pas à lui tenir tête, à lui monter qu'il me dérange. C'est rare qu'ils persistent autant. Habituellement ils s'en vont après quelques semaines. Mais celui-ci semble s'accrocher. À quoi, bonne question. Car malgré que ma mère soit une femme formidable, ça ne semble pas être l'amour fou entre eux deux. Sauf si baiser toute la journée s'associe à de l'amour. Les rares moments où je ne suis pas obligée de quitter la maison pour ne pas à entendre leurs ébats, c'est quand ma mère travaille. Et ça tombe bien, en ce moment même elle est à son boulot. Profitant de cet instant de répit, je m'affale sur le canapé avec mon repas du soir ; un bol de céréales. Devant mon émission, l'autre, mon « père » du moment, vient me rejoindre. Il est habillé d'un simple slip, le fameux slip, car je pense qu'il en a qu'un seul, et d'un débardeur salie par du ketchup ou une sauce quelconque. Il s'installe à mes côtés et enroule son bras autour de moi. Trouvant cela étrange, je me décale. Il a encore ce regard. Je déteste ce regard. Il marmonne quelque chose, mais j'arrive à distinguer l'adjectif mignonne. J'ai vu passer des mecs décalés, défoncés, mais aussi inquiétants que lui, jamais. Soudain je perds toute la confiance qui m'anime depuis toujours. Il est vrai que je suis une jeune fille au fort caractère. Mais face à ces agissements étranges, à ces dires, je  me retrouve sans protection, sans rien, à l’affût de cet individu. Si je montre un signe de faiblesse, il va pouvoir s'imaginer qu'il va pouvoir profiter de moi par la suite. Je n'ai pas envie, je dois être forte et du coup je me décale à nouveau. Si je tente de fuir, il va me pourchasser.  Je ne dois rien laisser paraître. Mais en réalité je suis effrayée. Il me fait peur. Et j'ai bien raison d'être apeurée.

Les choses sont allées vites, trop vites. Je n'ai rien vu venir et j'ai été prisonnière des flammes en un rien de temps. Ma mère qui vient de dégager le gros pervers, on décide donc de fêter ça ensemble, elle avec une bouteille et moi avec du soda. Une bonne soirée en perspective. Et jusqu'alors les choses se déroulaient sans embûches. Puis soudain, venant de nulle part, des flammes. Un coup d'oeil par la fenêtre et je vois ce taré jubilé, bidon d'essence dans une main et briquet dans l'autre. Les flammes se propagent à une vitesse folle. Je mets du temps à réagir et mes membres aussi. Paralysée, je n'ose pas bouger. Je réalise qu'il faut qu'on dégage rapidement de cet endroit si on veut y survivre. Je hurle pour faire signe à ma mère de dégager au plus vite. « MAMAAAAAAAN ! ». Elle ne réagit pas tout de suite. L'alcool ingurgité a déjà commencé à faire son effet sur elle. À l'autre bout de la pièce, je tente de la rejoindre, mais un bout du toit s'effondre. Bloquée, je lui fais signe de la main de sortir par la porte arrière. Encore une fois, tétanisée par la peur, elle ne bouge pas. Totalement inconsciente à ce moment-là, je tente de me frayer un chemin jusqu'à elle. Mais je suis coupée sur ma route lorsque je sens mon petit corps s'élever dans les airs. En à peine deux secondes je me retrouve dehors entourée de pompiers. Je pète un câble. Comment ils ont osé. Dans ma tête, je dois y retourner, je dois aller la chercher. Mais haute comme trois pommes et légère comme une plume, on me bloque le passage et on m'éloigne de ce qu'était ma maison. Je vois ma vie partir en fumée. Je suis beaucoup trop jeune pour avoir à subir ce genre de drames. Pourtant, je vais devoir faire avec, car dorénavant, je suis seule.

Je ne pouvais plus vivre dans la ville qui avait causé ma perte et celle de ma famille. Je me devais de bouger. À quatorze ans, après avoir vécu plusieurs galères, j'ai pris un bus direction New York. Des années de misère à me débrouiller par mes propres moyens. J'ai même vécu dans la rue pendant un moment. Je me suis laissée pourrir et ce n'est pas dans mon caractère de baisser les bras. Mais tout ce temps, j'avais trop de fierté pour aller voir mon père biologique et lui demander de l'aide. Pourtant un beau jour j'ai pris mon courage à deux mains et je suis allée sonner à sa porte. Une grande porte blanche bien imposante qui soudain me fait regretter d'être venue. Une dame ouvre, me reluque de haut en bas, mais avant qu'elle ne me referme au nez, je la devance. « Jayline, je veux le voir .. ». Elle sait qui je suis. Elle hoche la tête et s'éclipse. Toujours sur le seuil de la porte, j'espérais qu'elle me laisse au minimum entrer. Mon odeur corporel doit être trop désagréable pour cela. J'attends de longues minutes avant qu'enfin il fasse son apparition. Grand, quelques cheveux gris, un costard très chic, lui aussi me dévisage. On dirait qu'il vient de voir un fantôme. Je commence alors ma tirade. « Je ne voulais pas venir, mais je suis réellement dans le besoin. J'ai ... perdu ... j'ai tout perdu. Tu .. vous pourriez .. ». Il ne me laisse pas finir. Il sort deux trois excuses, prend son chéquier et me tend un bout de papier avec une sacrée somme inscrite dessus. Je ne m'attendais pas à ce qu'il accueille les bras ouverts, mais au moins qu'il me montre un peu plus de respect. On dirait qu'il vient de faire sa bonne action de la journée et qu'il peut retourner boire son scotch 80 ans d'âge à 10 000€ le verre servit. Il me montre un regard désolé, mais qu'il ne peut pas en faire plus. Je n'insiste pas, de toute façon, je n'ai pas envie. C'est un enfoiré et ça le restera. Je quitte les lieux un peu dépitée, mais je compte bien utiliser cette somme pour me refaire une vie. Pourquoi pas commencer des études.

Voilà quelques années que je tente de vivre du mieux que je peux. Souvent dans la galère, aujourd'hui j'ai enfin une stabilité financière. J'étudie, mais je travaille également ce qui me permet de joindre les deux bouts. Sauf que je n'ai pas les moyens nécessaires de m'offrir mon propre studio, beaucoup trop cher. Du coup depuis plusieurs semaines je feuillette les petites annonces. J'ai visité plusieurs appartements qui proposaient des colocations, mais je n'ai pas été convaincu. Aujourd'hui j'en visite encore un et j'espère que ça sera le dernier. Il me faut un endroit chaleureux et convivial pour me poser. J'arrive devant l'immeuble, tape le code qu'on m'a donné, je pénètre dans le bâtiment et je grimpe jusqu'à l'appartement. Je sonne et j'attends patiemment qu'on vienne m'ouvrir. J'attends quelques secondes à peine avant qu'un grand jeune homme, cheveux brun, m'invite à entrer. Mais je reste bloquer devant son visage qui me rappelle quelqu'un. Rapidement ça me revient. Le type du centre pour drogué. Je ne peux pas m'empêcher de rire. C'est tellement hilarant comme situation. Du coup je me permets de lui dire. « Le mec sans gêne du centre, c'est ça ? ». Il baisse un instant la tête avant de confirmer. Je rentre dans l'appartement. Au final la visite de déroule bien et a pour finalité, que je sois acceptée dans la colocation. Une bonne nouvelle, mais voyons comment les choses vont se dérouler, comment sera la cohabitation.

Bienvenue  

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