Vous était-il déjà arrivé de vous imaginer ailleurs? Dans un autre environnement, voire dans une autre famille? J'y avais déjà pensé une fois. J'aurais pu naître n'importe où: au Brésil ou même dans un pays reculé de l'Afrique. Ma vie aurait pu se résumer à dormir dans un bidonville, entouré de bambins qui auraient tous été mes frères et mes sœurs. Toute ma vie, je me serais tué à la tâche dans un travail que je n'aimais pas histoire d'avoir un salaire minable à la fin du mois. Aurais-je été plus malheureux? Je n'en savais rien. Certains prétendaient que l'argent ne faisait pas le bonheur. Et si on les suivait dans leur cheminement, l'amour aurait pu combler n'importe quel être humain. L'amour, c'était ce dont j'avais manqué le plus justement. Ce que j'aurai fait dans une autre vie? Comment je m'en serais sorti? Je n'avais aucune de ses réponses. Une seule chose était certaine, j'aurais été différent, niveau caractère. Certainement plus accueillant, plus fraternel. Esteban aurait été accueilli comme un roi et très vite il serait devenu comme un frère. Alors qu'ici, la conversation entre nous deux avait été rompue avant même qu'elle ne se soit réellement installée. C'était fou ce que l'argent pouvait changer des personnes, comme si il leur dictait une ligne de conduite à tenir. Car après tout c'était un peu ça: ne jamais décevoir, toujours être à la hauteur de ce que l'on attend de vous. Cela pouvait en devenir épuisant. Pourtant, je ne m'en étais jamais plaint. Quel adolescent se serait plaint qu'on lui fasse ses moindres caprices contre une tenue impeccable, un sourire figé et quelques phrases amicales? De plus, je n'avais pas besoin de travailler, je savais que mon avenir serait tout tracé. Et dès fois, il m'arrivait d'en jouer, d'être le gamin terrible qui traumatisait les plus faibles. Esteban était d'ailleurs dans ma ligne de mire. Ce n'était jamais très méchant, du moins de mon point de vue, mais tous les moyens étaient bons pour l'embêter, pour lui faire comprendre qu'il était de trop.

Je ne l'avais donc pas vu s'installer à l'opposé de moi sur un transat, dont il avait relevé le dossier. Ni même aperçu son regard se poser sur mon corps ou ceux des autres hommes. Je n'avais encore jamais soupçonné Esteban d'être attiré par la gente masculine. Après tout, il aurait fallu que je passe plus de temps avec lui pour me rendre compte que les jolies formes féminines ne l'intéressait pas. Qu'aurais-je eu comme réaction si je l'avais su? A cet instant précis, je l'aurais mal pris. J'aurais peut-être trouvé la situation assez bizarre, moi qui suis un catholique pur souche. Imaginer un homme avec un homme, cela était impossible pour moi. Mais bon, pour l'instant, je ne m'en doutais pas et c'était probablement mieux ainsi. Il me faudrait quelques années de plus pour mûrir et pour m'ouvrir l'esprit. En attendant, j'avais d'autres chats à fouetter. Un jeune homme qui était très proche de mon 'demi-frère' m'avait lancé le pari de me jeter à l'eau. Et par fierté, j'avais accepté. En avais-je seulement le choix? Alors, je m'étais avancé vers la piscine, conscient des regards posés sur moi. Mais complètement inconscient de faire le pas qui me fit plonger. Très vite, je me retrouvais dans l'eau, complètement tétanisé. Les autres semblaient être retourné à leurs occupations alors que l'eau emplissait mes poumons, me faisant perdre, par la même occasion, connaissance. Ce qui s'était passé ensuite? Je n'aurais su le raconter. Je ne sentis pas les bras musclés d'Esteban autour de mon torse, ni même le moment où il me hissa hors de l'eau, tel un sauveteur professionnel. « Alejandro ! Alejandro tu m’entend ? » Si je t'entends? Non, de toute évidence. C'est plutôt mauvais signe hein? T'inquiète, tu seras tranquille comme ça, tu auras ma mère pour toi tout seul. Je suis même certain qu'elle ne versera pas une larme. Les autres s'installaient autour de mon demi-frère, attiré par le spectacle. Je devais avoir l'air riddicule maintenant. Mais à quoi avais-je pensé avant de sauter? Que je saurais remonter à la surface sans problème? Oui, j'avais eu ce doux espoir. Après tout, je n'étais pas suicidaire. « Ecartez vous ! Maintenant ! » Esteban prenait la situation en main, et à ce moment précis, je ne savais pas encore qu'il me sauvait la vie. En effet, il avait déposé ses mains sur ma poitrine, effectuant des pressions contre mon torse avant de souffler de l'air dans ma bouche. Malheureusement, je n'avais aucune réaction. La deuxième tentative n'eut pas plus de résultats, je restais allongé, inanimé. Esteban ne se décourageait pas et à la troisième fois, je recrachais l'eau présente dans mes poumons avec une certaine difficulté. J'avais ouvert les yeux avant de les refermer immédiatement. La lumière m'avait aveuglé et ma tête tournait atrocement. Je passais ma main droite sur mes yeux, les frottant légèrement. J'essayais ensuite de me souvenir de ce qui s'était passé, mais c'était impossible pour l'instant. Mes yeux se rouvrirent une nouvelle fois, observant le ciel. Je vus enfin le regard d'Esteban posé sur moi. Il semblait inquiet. Et agenouillé à mes côtés.  "Qu'Est-ce...Que s'est-il passé?", lui demandais-je, complètement à côté de la plaque. J'essayais de me relever mais fut pris d'un vertige. Je me laissais donc retomber sur le sol. Je ne saisissais encore rien de la situation mais cela ne saurait tarder.