MIKAYLA + BRETT

SORRY FOR WHAT I DO Depuis l'hôpital, j'avais tendance à fuir mes parents. En fait, je me faisais plus ou moins l'impression de fuir tout le monde. La plupart des gens ne m'inspiraient pas confiance, parfois la ville en elle-même n'y parvenait pas non plus. Je me souvenais pourtant d'une bonne vingtaine d'années passée ici. Je n'avais jamais connu autre chose, c'était ma maison, ce qui ne rendait que plus inquiétant encore mon sentiment de malaise. Si je ne parvenais pas à me sentir bien à New York, chez moi, c'est que je n'allais me sentir bien nulle part et si je ne parvenais pas à dissiper ce sentiment de malaise, comment j'allais bien pouvoir continuer à vivre en feignant sans relâche que tout allait bien ? Les premiers jours, j'avais fait part de cette impression dérangeante à mes parents et ma mère ne s'était pas gênée pour repousser d'un revers de main désinvolte mes appréhensions. Elle avait dit quoi déjà ? Que ça me passerait. Sauf que des mois s'étaient déjà écoulés et c'était toujours là, bien loti dans ma poitrine. Je ne parvenais pas à me défaire de cette sensation dévastante d'être en plein naufrage et car personne ne semblait vouloir me croire, à ce sujet, j'avais décidé que je préférais ne voir personne, la plupart du temps. Voir personne, ce n'était cependant pas une mince affaire. C'est difficile d'être aussi seul qu'on le veut, lorsqu'on s'avère être en couple. Et quelle petite amie faisait Grace.
Je ne pouvais décemment pas lui enlever qu'elle m'était vraiment dévouée ces temps-ci. Un peu trop même. Elle avait cette sale habitude de se pointer sans que je n'ai rien demander, surgissant brièvement dans ma chambre, avec cette expression de douceur infinie, comme si j'étais en porcelaine et qu'elle avait peur de me brusquer. Comme si j'étais fais de sucre et qu'elle avait la recette magique pour m'empêcher de me dissoudre sous ses yeux. Voilà un scoop pour vous : sa recette était défaillante. Elle ne savait pas me prendre de la bonne façon. Être ainsi vu comme une petite chose fragile n'avait rien de rassurant, ça avait plutôt tout de rabaissant et ça m'irritait plus qu'autre chose. Grace m'irritait de tout son être, en fait. Je l'avais toujours trouvé exaspérante sur certains points, mais désormais, plus rien ne me plaisait. Je n'aimais pas sa façon de s'adresser à moi, de cette voix mielleuse, mais grossière, comme si j'étais son enfant et son copain, les deux à la fois. Je n'aimais pas davantage sa façon de me regarder, ce regard qui ne cachait rien et par dessus tout, je n'aimais pas sa façon de me toucher, ce qu'elle faisait sans arrêt. Je ne la savais vraiment pas aussi tactile. Sa façon d'embrasser, ce goût qui m'emplissait la bouche dès lors qu'elle s'y risquait, ce besoin de s'accrocher à moi, alors que, de nous deux, j'étais celui qui était à la dérive... Rien ne me plaisait. Mais comment j'étais sensé l'affirmer sans me faire l'impression d'être le plus grand salaud de l'histoire du monde ? Alors, comme pour gagner du temps, me préserver, je la fuyais et j'avais opté pour la bibliothèque, quand bien même c'était un endroit également fréquenté par Grace. Je n'avais pas franchement le temps de me dénicher une meilleure cachette : il fallait que je bosse. Comme si ma perte de mémoire n'était déjà pas assez assommante, il avait fallu que cela me mette dans une position critique sur le plan scolaire. Zapper cinq ans de sa scolarité, ça n'a rien de bon. Toutes les connaissances ingurgitées durant ses années de cours de médecine m'étaient désormais inaccessibles, me laissant dans la panade, juste avec l'illusion d'être un bon élève alors que je ne m'étais jamais sentit aussi nul. Mes professeurs avaient beau avoir voulu se montrer compréhensifs et j'avais beau avoir réussi mon année, ils m'avaient fait redoubler. Personne ne leur en portait rigueur, pas même moi. Jusqu'à ce que ma mémoire revienne, je n'étais bon qu'à reculer, sans restriction. Alors je travaillais, à m'en donner mal au crâne et ça ne manquait jamais. Je me trouvais depuis plusieurs heures dans la bibliothèque, avec une pile de bouquins tous plus épais et abstraits à mes yeux les uns que les autres. J'en avais une boule énorme au ventre et les larmes m'étaient carrément monté aux yeux alors que je constatais que même le début, les cours les plus anciens, les plus accessibles, m'étaient totalement incompréhensibles. Je m'étais senti tellement bête, d'être à deux doigts de pleurer comme un bébé pour ça, mais c'était plus que je ne parvenais à en supporter. Et maintenant, j'avais mal à la tête et je n'étais pas sûr d'avoir retirer quoi que ce soit de ses révisions. Je n'en reviendrais chez moi que plus déprimé encore. Je referma le dernier bouquin avec découragement, le coeur au bord des lèvres. J'étais mal, vraiment mal et je n'avais pas envie d'aller chercher du réconfort auprès de mes parents ou de Grace. J'avais besoin de voir d'autres personnes, encore plus quand ils n'étaient pas avec moi pour me maintenir ici dans une bulle, comme coupé du monde. Par une sorte de chance (inespérée, en cet instant), je repéra une silhouette familière dans la bibliothèque et me rua presque dessus, uniquement guidé par mon instinct, laissant mes bouquins en plan. Je rejoignis en quelques pas la fille ayant attiré mon attention et referma ma main sur son poignet. « Hey, Mikayla. »