C'était ce genre de soirée. Où on se laissait aller à des jeux idiots, parfois, trop souvent dangereux. Où plus rien ne comptait vraiment; même notre honneur n'était plus si important. Notre honneur, ou ce qu'il en restait. C'était ce genre de soirée où tout pouvait arriver, mais où l'on s'arrangeait toujours pour que rien ne se produise qui puisse endommager notre belle réputation. Belle réputation... Tu parles d'une connerie.

Et puis la nuit succédait au jour faiblissant, le soleil se couchait sous le voile noir du ciel d'encre, et c'était là que tout devenait vraiment dangereux. Que tout était pire que pire. Plus rien n'avait de sens. Nos têtes tournaient, on se voyait voler alors qu'on était condamné à rester cloué au sol, sans espoir de s'échapper. Le temps de l'innocence était révolu. Depuis bien longtemps. Beaucoup aurait simplement voulu retourner à l'époque où notre seule préoccupation était de savoir de quelle couleur nous pourrions colorer les pétales des fleurs que nous dessinions à torts et à travers sur les feuilles de papier que nos parents nous donnaient, pour qu'on leur fiche la paix pendant une ou deux bonnes heures. Mais tous ça, les fleurs, les arbres, le ciel, le soleil, papa, maman, bébé entre eux qui leur tient la main, tous ça gribouillés à la va-vite; c'était bel et bien fini. On tuait notre temps à fumer l'herbe qu'on avait un jour dessiné; la poudre blanche n'était plus la neige dans laquelle nous nous roulions, mais bien celle qu'on aspirait avec notre nez tel un aspirateur; nos bras parfois se parsemaient de petits points rouges, mais ce n'était pas la varicelle, c'était les injections d'héroïne; les enfants étaient devenus des grands, mais on se disait tous qu'il aurait mieux fallu qu'on reste des gosses. On était plus censés, moins idiots.

Il passe sa main sous mon pull, cherche à dégrafer mon soutien-gorge de dentelle noire. Son autre main est occupée à palper ma cuisse sous ma jupe, j'ai l'impression d'être sous l'emprise d'un boulanger. Dans la pénombre, je le vois à peine, mais je sais qu'il est pas mal. C'est déjà ça. De toute manière, il n'aura pas ce qu'il veut, je ne suis pas prête de le donner au premier venu. Il pense sans doute que c'est gagner, que Demetra Lustiana Johnston va lui donner sa virginité (il ne sait pas que je suis vierge, mais bon), qu'il va pouvoir sortir avec moi, c'est son plus grand rêve depuis peu, pauvre petit con naïf. Et puis minuit sonne. Juste à ce moment, ses lèvres effleurent les miennes. Il n'a apparemment pas réussi à détacher mon soutif. Qu'est-ce que ça doit donner au lit ? ... Comme prévu, je le laisse en plan, je lui donne une petit bise sur la joue et c'est tous. Désolée beau brun, une autre fois peut-être (oupas).

Aller salle commune pour enfiler une robe de chambre en soie noire, puis aller aux cuisines pour des fraises et de la chantilly (je n'ai pas abusé des mauvaises choses ce soir, aussi étonnant que cela puisse paraitre, alors j'ai droit à un extra), et retour à la salle commune pour m'installer confortablement devant le feu, dans un des fauteuils en cuir noir. Il faisait un froid de canard dans le château, et je n'avais pas pris la peine d'enfiler mes chaussons, pour éviter qu'ils claquent sur le sol de marbre. Les deux bols dans les mains (un remplit de fraises, l'autre de chantilly), je murmure le mot de passe pour à nouveau entrer dans le salon des Serpentards. C'est silencieux, comme à mon premier retour, seul le feu crépite. Mais il y a quelque chose. Quelque chose qu'il n'y avait pas avant. Une respiration. Pas du même genre que celle des tableaux. Une respiration bien plus... humaine ? Je pose mon encas sur une table à proximité et m'approche à pas feutré du canapé tourné vers la cheminée; ça respire, vite, un peu trop vite. Comme si c'était énervé, triste peut-être. Comme si ça venait de se réveiller d'un horrible cauchemar et que le cœur avait peine à reprendre la bonne cadence. Et c'est ce simple détail qui me fait de suite savoir qui peut être dans ce canapé à une heure pareille. Une heure du matin. Oui, j'ai mis du temps pour revenir, pour me changer, pour aller en cuisine, et pour encore revenir. Vous savez ce que c'est de devoir faire attention de ne pas réveiller un château entier ?

▬ Emerson. La nuit, c'est fait pour dormir.

Dit elle alors que sa nuit, elle l'a passé dehors à fricoter avec un mâle dont elle ne connait pas l'identité. Shame on me.

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