Je dégainai mon briquet sans réelle conviction. J'ouvrai et fermai mon zippo au gré de mes envies, fixant la flamme comme si elle eut été divine, brûlant par la même occasion mes pupilles résidant dans mes yeux à moitié fermés. Je maintenais une cigarette entre mes dents, tirant dessus sans même qu'elle ne soit allumée. La force de l'habitude. Soho resplendissait dehors. Les différentes lumières colorées traversant la fenêtre ouverte, venant délicieusement effleuré ma peau. J'étais assis par terre, le dos contre mon lit. Aaron était parti « travailler » et moi je ne faisais rien. Enfin, si. J'attendais. J'avais, légèrement plus tôt, passé un coup de fil à un feignant de première savamment tatoué de manière à le bouger un peu et à le faire passer une bonne soirée dans le quartier le plus coloré de Londres. C'était tellement dommage de ne pas profiter d'un endroit où l'on se sent si libre. Lorsque j'ai dû choisir où serait mon lieu de vie, je n'ai pas hésité une seule seconde : un seul choix s'imposait. Le Soho dont on m'avait tant vanté les mérites -et les démérites pour les gens peu ouverts- ne m'avait pas déçu. Mais il était plus que le simple Soho dont on parle. Il faut y aller, y vivre pour comprendre réellement la force de cet endroit. Ici régnait tout ce dont une personne un tant soit peu décalée pouvait rêver. Le soir, certains s'y sentaient mal à l'aise, d'autres chez eux. Moi, j'aimai fouler du pied le trottoir de Soho, étant de suite assailli par l'ambiance, par des sourires familiers, saluant simplement des gens que je ne connaissais pas, pour le plaisir. C'est le seul endroit où j'ose le faire. Parce qu'ici c'est mon chez moi. Plus qu'à Liverpool, ma ville de naissance. C'est réellement ici où je me suis senti le mieux, parmi tout ces gens pas banaux. Peut-être car je ne le suis pas moi même. Je jetai mon crâne en arrière et le posai sur mes draps. Je fermai doucement les yeux en mordillant l'endroit où devait se trouver le filtre -inexistant- de mon indispensable bâton de nicotine. Même quand je ne le fumai pas, sa présence dans ma bouche était requise. J'adorai donner des petits coups de dents dedans. Mes yeux se dirigèrent vers l'horloge électronique qui traînait sur ma table de nuit. Ça allait bientôt être l'heure. J'inspirai avec lenteur, rouvrant les yeux avec la même passion qu'avec laquelle j'avais décoché mon zippo de ma poche. J'étais tiraillé entre l'envie de rester là jusqu'à ce que qu'Aaron rentre ou sortir. Mais c'était la seconde solution qui s'imposait, car j'avais rendez-vous ce soir. Je me levais et enfilai un pantalon noir moulant luisant, ainsi qu'une chemise aux manches relativement courtes de la même couleur que le bas ainsi qu'un perfecto en cuir -noir cela va sans dire- que je gardai ouvert et pour la note de style une longue chaîne en argent , une croix pendant au bout. J'attrapai un anneau et le ficha dans mon lobe ainsi qu'un autre qui se referma sur ma lèvre inférieure, à droite. Comme je les affectionnai, ces piercings. Je ne pouvais sortir sans en avoir quelques uns sur moi. J'en avais presque partout, sur les lèvres, les sourcils, les oreilles et même au niveau du torse, au même titre que les tatouages, moins nombreux certes, mais bien là quand même. Loin de m'enlaidir, je pense au contraire que, tout comme le maquillage en ce qui concerne les demoiselles, c'est un atout au niveau du charme, ayant pour but d'attirer le regard. Bien sûr, être percé par des bouts de fer n'est pas au goût de tout le monde, mais dans un quartier comme Soho, vous passez inaperçu, c'est presque si l'on se fond dans la masse. Une masse pas commune. Je regardai une dernière fois le réveil. Parfait. J'avais encore le temps. Sans grand entrain, je sortais de la maison et fermai la porte avant de planquer le trousseau à l'intérieur d'une petite lanterne sans ampoule, que j'avais accroché là dans le but de cacher le clé de manière à ce qu'Aaron ne se retrouve pas enfermé dehors si il rentre alors que je ne suis pas encore là. Il a un double bien sûr, mais c'est toujours une mesure de sûreté et au moins, on ne me la volera pas dans la rue. Le pas assuré et le regard droit, je marchai vers notre lieu de rendez-vous, à moi et à Joyce. Je m'étais toujours efforcé de ne pas faire de commentaires sur son prénom, il m'évoquait celui d'une demoiselle en premier lieu, quoiqu'il lui allait à ravir. J'adorai regarder ses tatouages; qui étaient de toute beauté et qui lui allaient à ravir. Il en possédait un grand nombre et c'était loin de me déplaire. Ce nombre de tatouages à outrance s'alliait tellement bien à l'esprit provocateur du quartier que j'ai été étonné d'apprendre qu'il n'y vivait pas. C'est pourquoi j'avais promptement décidé de lui faire découvrir cet endroit, haut lieu de la provocation de de l'excentricité londonienne dans toute sa splendeur. Mais peu m'importait finalement. Mais je me contentai de le faire découvrir ces coins, de rire et de l'admirer aussi finalement. Car même si c'est un ami, j'adore le regarder et chercher à déchiffrer les différentes empreintes gravées sur sa peau. Je marchai donc tranquillement sur le trottoir, clope en bouche, regardant les gens passer, leur jetant quelques fois des sourires aguicheurs ou amicaux. Puis j'aperçus enfin mon homme. La tableau était comique. Dans cette position, on aurait dit qu'il faisait le trottoir. Je retins un rire avant de m'approcher furtivement de lui et de déposer sur son épaule une main bienveillante. Il se recula par surprise et je ne pus m'empêcher alors de lui décocher un sourire ravageur comme je savais si bien les faire. Il jeta un coup d'œil à son portable et me fit remarquer que j'arrivais exactement à la bonne heure. Il était vrai qu'à chaque rendez vous, j'arrivai à l'heure précise, sans le désirer finalement. J'avais une mauvaise gestion du temps le soir habituellement, mais quand il s'agissait d'un rendez vous en charmante compagnie, je n'arrivai ni en avance, ni en retard, juste à l'heure précise. Cela semblait l'étonner. Mon sourire qui n'avait pas disparu, s'étira, laissant apercevoir mes dents pas spécialement blanches. La faute au goudron de la clope, sans hésiter. Mais j'arrivai à rendre ce rictus un tant soit peu charmeur, voire innocent en ce cas ci malgré tout. -''Ha bon ? Je suis le David Copperfield des rendez vous il faut croire. En fait je contrôle le temps pour arriver à l'heure et faire bonne impression, crains mon pouvoir pauvre mortel !'' Je fis une légère grimace, comme un grand méchant de dessin animé, jouant un rôle pour quelques fuyantes secondes de manière à l'amuser d'une manière assez grossière, il est vrai, mais qui marchait relativement bien la plupart du temps. Je laissai échapper un rire candide de ma gorge, totalement détendu. Je me permettais n'importe quel plaisanteries avec lui, au moins, je savais que ça le réveillerai un peu. Il se dégagea de mon appui sur lui et me demanda qu'est-ce que nous allions faire ce soir. Mon regard devenait emprunt de mystère. Je savais très bien où j'allais l'emmener, et ici, il n'y avait pas trente six solutions. Je n'allais pas l'emmener dans un hôtel pour faire milles et unes choses pas catholiques. J'aurais, bien évidemment, pu le faire, mais ce serait irrespectueux de ma part et j'avais un honneur : hors de question de faire ça avec quelqu'un que je connaissais aussi bien. J'allais plutôt emprunter un chemin détourné. On se saoulera toute la nuit au son des basses saturées d'une bonne boîte et finir complètement torchés dans le caniveau à vomir nos entrailles. C'était plutôt amusant bien que ça ne semble pas très tentant vu comme ça. -''Tu verras, tout vient à point à qui sait attendre.'' Il était rare que j'emploie des proverbes vieux comme le monde à l'image de celui-ci, mais cela rajoutait une couche au « mystère » qui planait déjà. Je lui fis un signe de tête avant de m'allumer une énième cigarette. J'étais classe quand je fumais à ce qu'il paraît. Ce fut l'une des choses qui m'ont poussé à m'en allumer une au moins une fois par jour. Comme ça. Par envie. C'est ça, une addiction non ? Je me dirigeai donc vers la boîte de nuit, dont on entendait déjà la musique d'ici, ses enseignes fluos se perdant dans celles des autres magasins. Celui qui brillera le plus gagnera dirait-on. Partout des boutiques sado masochistes, des vidéos clubs X … Soho sweet Soho. Je pénétrai dans le Happy People Night Club, haute sphère de la communauté gay du quartier, où j'avais plusieurs connaissances. Je le conviai à entrer, tout en sachant que j'allais passer une excellente soirée en sa compagnie, tirant une latte sur ma cigarette, d'autres suivront, beaucoup d'autres ...

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