Il fut un temps où je trouvais l'amour ridicule. Et en même temps où je me trouvais ridicule par amour. C'était quand j'étais avec Serena. Nous devions avoir 15, 16 ans, je ne sais plus exactement. Si on a commencé à sortir ensemble, c'est à cause d'un pari. Pari que je n'aurais jamais dû faire par ailleurs, ça m'aurait évité tout ça. Mais ce qui est fait est fait. Vous savez, quand vous êtes gosses, vous croyez que rien ne peut vous arriver. Que la souffrance tombe toujours à côté de vous, comme si une armure magique vous protégeait, ou comme si le bon Dieu veillait sur vous. On se croit invincible, on se croit beau, on se croit fort. J'ai été comme ça. J'ai été Casey le Don Juan. Manipuler les filles pour avoir ce que je voulais, c'était du gâteau. Sauf que avec Serena, cela avait commencé à être différent. J'ai fondu pour elle, j'ai commencé à ressentir l'impossible. Ce sentiment que je pensais ne jamais connaître a pourtant bien commencé à naître au fond de moi. Mais tout le monde sait qu'on finit toujours pas payer de nos erreurs. Et donc mademoiselle Douglas a rompu en apprenant l'existence du fameuse pari… Suite à cela, je suis devenu sombre, et méchant. Je m'étais tout simplement construit une carapace. J'avais peur de souffrir à nouveau pour ce sentiment ridicule, qui me rendait ridiculement vulnérable et pitoyable.

Pendant longtemps, j'ai eu l'impression d'être un monstre. Avec les filles surtout. Une m'avait brisé le coeur, et voilà que je le faisais payer à toutes les autres. Je n'aimais pas le faire, mais je le faisais, parce qu'au fond je devais être horriblement rancunier sûrement. Puis un jour, bien des années après notre rupture, je l'ai revue. Serena. Encore plus belle qu'avant, plus rayonnante. Et mon coeur s'emballa, comme au premier jour. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment. Elle était la seule à me faire ça. Je l'aimais, et l'avouer ne serait-ce qu'à moi-même me rendait fou. Lorsqu'elle était en face de moi, le mauvais Casey s'envolait. J'avais envie d'être meilleur. Je me suis rendu compte que le monstruosité ne m'allait pas. Que même si amour rime avec souffrance, cela reste le plus beau sentiment qui existe. Et il fallait que je fasse au mieux pour avoir la chance de le vivre une nouvelle fois. Alors je me suis lancé avec Serena, je ne voulais pas abandonner, pour la raison évidente que vous connaissez tous, mais que je ne voudrais pas répéter à nouveau tant c'est déchirant aujourd'hui. Car oui, nous sommes sortis ensemble après plusieurs rendez-vous, pendant trois ans. Sauf qu'elle a rompu, à nouveau. Elle a même trouvé quelqu'un d'autre, vous voyez le tableau…

Alors voilà que je suis seul. Mais contrairement à notre première rupture, je ne suis plus un monstre. J'ai même plutôt l'impression d'être une victime. Je souffre comme je n'ai jamais souffert. Mais cette fois-ci, j'essaie de tendre à la perfection. Pourquoi ? Tout simplement parce que je me dis que si Serena a rompu avec moi, c'est que je n'étais pas celui qu'elle espérait que je sois. J'ai dû faire des erreurs. Et si seulement j'arrivais à être parfait, et que par la suite je vivais une nouvelle histoire amoureuse, alors dans ce cas j'avais moins de chance de me faire détruire une nouvelle fois. Et voilà qu'une nouvelle fois, j'avais l'impression d'être ridicule. Mais je m'en moquais. Je voulais changer pour de bon, grandir j'ai envie de dire. Arrêter de courir après les filles et me poser pour de bon, comme j'aurais voulu le faire avec Serena. Ça prendra sûrement du temps, car évidemment, je l'aime encore. Et je pense encore souvent à elle. Mais je garde espoir. Elle finira bien par disparaître de mes pensées, et j'arriverai bien à la bannir de mon coeur à jamais. Du moins je l'espérais.

En me réveillant ce matin-là, et en ouvrant le frigo pour boire un verre de lait, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose si je ne voulais pas mourir de faim dans les jours qui allaient suivre. La corvée des courses m'attendait donc aujourd'hui, bien qu'en réalité cela faisait plusieurs jours que je devais y aller. J'ai donc pris ma voiture, et roulé jusqu'au centre commercial, où j'avais l'intention de seulement faire un tour au supermarché pour acheter le nécessaire. Mais voyez-vous, je n'ai jamais eu de chance, donc forcément, il fallait que je m'attende à ce que quelque chose ne tourne pas rond. Je venais tout juste d'entrer dans les galeries, que j'aperçus quelque chose tomber du sac de la demoiselle qui marchait devant moi. Des clés de maison apparemment. Mais le porte-clé me disait quelque chose. Et comment… Elle avait toujours adoré ce genre de bidules, j'étais d'ailleurs avec elle quand elle l'avait acheté. Et donc, en relevant la tête, je la reconnus immédiatement. Sa silhouette si parfaite, elle était dos à moi, continuant sa marche, ne s'étant apparemment pas rendue compte qu'elle avait fait tomber quelque chose. J'étais partagé entre demander à quelqu'un de lui rendre ses clés, ou bien la suivre et les lui rendre. La première solution me semblait quand même bien lâche. Et j'avais décidé d'arrêter de fuir devant les difficultés. Alors, la tête haute, je la suivais courageusement, dans le but de la rattraper. Je savais que la revoir me troublerait, mais je ne pouvais pas la fuir éternellement, et d'un autre côté, la revoir en tant que "célibataire" me permettrait peut-être de l'oublier. Voilà qu'elle entrai dans un ascenseur, certainement pour rejoindre une boutique qu'elle adorait au second étage. En arrivant devant la machine juste avant qu'elle ne se referme, je me rendis compte qu'il n'y avait personne d'autre qu'elle, fouillant dans son sac. Je me glissai donc entre les portes, entrant également, mais lui tournant le dos, essayant de trouver le courage de lui faire face. Je l'entendais rouspéter derrière moi, comme si elle cherchait quelque chose sans le trouver, et j'entendais le bruit de sa main fouillant de le bordel qu'avait toujours été son sac à main. J'allais enfin me retourner, j'étais prêt. Mais sans que je comprenne pourquoi, l'ascenseur s'arrêta, et nous nous retrouvâmes dans le noir complet. « Génial ! » entendis-je derrière moi. J'aurais voulu parler, mais elle m'aurait reconnu. Alors pour le moment, je restai silencieux. Je m'étais enfin retourné, mais heureusement elle ne pouvait pas me voir. Si je ne faisais pas quelque chose, je sentais qu'elle allait m'adresser la parole et que j'allais devoir répondre. Et c'est comme si une force que je ne contrôlais pas s'était emparée de mon corps : ma main attrapa son poignet, et je déposai ensuite ses clés dans sa main. Je me reculai alors d'un pas, appréhendant la suite des événement, appréhendant sa réaction, espérant que les portes de l'ascenseur s'ouvrent derrière moi et que je puisse partir de là.