Je m'en rappelle bien, de ce fameux jour où je suis partie de chez moi, le baluchon sur le dos et les pleurs fusant de part et d'autre du salon. Bon, ça ne s'était pas exactement passé comme je vous le décris. D'abord je n'avais pas de baluchon mais une valise, et ensuite, personne ne pleurait. On entendait plutôt les mouches voler tant mes parents, qui n'avait pas vu le coup venir, restaient bouche bée. Evidemment, comment pouvaient-ils voir quoique ce soit, sans avoir été là une seule fois de la semaine. Bref. J'avais minutieusement choisi mon départ, ou plutôt j'avais décidé que je partirais le jour où mes parents seraient là, pour qu'ils voient et sachent ce que je pensais d'eux. Et ce jour-là avait été le bon. C'était un dimanche matin habituel, enfin jusqu'au moment où j'avais descendu les escaliers d'un pas assuré, bagage en main et m'étais dirigée vers le salon, où mes parents prenaient leur petit-déjeuner. Je revois encore leur tête déconfite quand ils avaient vu la valise, posée à côté de moi.
- Je pars aux Etats-Unis, avais-je dit. Mais avant de partir, je voudrais au moins que vous sachiez les raisons de ce départ et ce que je pense de vous, aussi.
Je me rappelle avoir inspiré et expiré calmement, la main sur le ventre, afin de me déstresser. C'était quelque chose que j'avais appris aux cours de théâtre que mes parents m'avaient payés deux ans auparavant, parce qu'ils me jugeaient trop timide. Je me rappelle également avoir vu mon père qui s'était levé, et qui s'était apprêté à rétorquer jusqu'à ce que je ne lui coupe la parole.
- Laisse-moi parler ! avais-je poursuivi avec assurance. Ma décision est prise, je ne changerai pas d'avis. J'ai économisé l'argent que j'ai gagné ces vacances-ci, et vous ne devrez rien me payer. Tout est prévu. Je voudrais juste que vous sachiez que je pars. Pour ce qui est du reste, on se l'entend bien, vous n'avez pas votre mot à dire. Je suis majeure, jusqu'à preuve du contraire et j'aurai bien pu ne pas vous dire que je m'en allais. Estimez-vous heureux d'être tenus au courant.
Je leur avais parlé si sèchement que je m'étais alors mise à regretter de leur manquer de respect de la sorte. Ils étaient mes parents après tout, et même si j'éprouvais une haine profonde à leur encontre, je me devais de rester courtoise et polie. Je me souviens bien avoir regretté le ton que j'avais pris un instant auparavant lorsque je m'étais reconnue trait pour trait dans le visage de ma mère qui affichait une mine déplorable suite à mon annonce. J'avais joint mes mains comme si je voulais prier, bien que ce n'eût pas été le cas et ne sachant que dire, observant l'air médusé de mon père et écoutant le silence de maître régnant dans la pièce, j'avais attrapé ma valise, fait la bise à mon père, ainsi qu'à ma mère, puis j'étais sortie, comme j'avais descendu les escaliers, en apparence l'air assuré, mais intérieurement déchirée. Bien que je fûsse à ce moment là tourmentée, tiraillée entre les abandonner ou partir, je m'étais avancée jusqu'au portail, avait pris place dans le taxi, sans réfléchir, direction l'aéroport. Bien sûr, mes parents avaient suivi béatement la scène qui se déroulait depuis le seuil de la porte d'entrée, comme sonnée par la nouvelle de mon départ, mais n'avait pas pu broncher.

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