Xavier & Marcus

La soirée ne faisait que commencer ; il était à peine plus de dix-neuf heures. Pourtant, la nuit commençait à tomber à l'extérieur de Ginger's, enveloppant la ville dans l'obscurité. Les gens entraient et sortaient, bavardant gaiement, en un ballet incessant et chamarré. Malgré tout, j’avais arrêté de regarder les gens depuis un bon moment. Il avait été clair nan ? On m’avait dit de me pointer à 18h30, au Ginger’s. Et maintenant, assis comme un idiot au bar, j’attendais patiemment avec la gueule du type dont la nana vient de poser un lapin. Sauf que ce n’était pas ma nana que j’attendais. Je ne savais même pas si on était pote. Je veux dire, oui, c’est con comme question. On le sait si on est ami avec quelqu’un. Mais entre le Xavier et moi, c’était bizarre. On se connaissait depuis plusieurs années, peut-être trois, ou quatre ans. Notre rencontre, je l’avais oubliée, comme beaucoup d’autres choses datant de cette époque-là. Je me rappelle simplement d’un regard, pas franchement sympathique, ni complètement haineux. C’était ça, notre lien. Ni amis, ni ennemis. Xavier, c’était un danseur ; il était bon, le savait, et appréciait qu’on le lui dise. Et en tant que danseur, je m’étais imposé naturellement comme son concurrent, sans vraiment y faire attention. Avec un soupir, je consultai l’heure et me frottai la nuque. Merde alors, j’allais pas poireauter toute la nuit non plus ! Si jamais il ne se pointait pas d’ici vingt minutes, il pourrait toujours attendre tout seul, le Xavier. Je ne pouvais pas dire que ça ne me surprenait pas qu’il m’ait appelé. C’est vrai, ça faisait quand même un bail qu’on ne s’était pas vu. Ca remontait avant l’accident. Je ne savais que penser de tout ça. Peut-être que je n’étais plus assez intéressant pour qu’il me tienne à l’œil, et qu’on se côtoie. Je me forçai à ne plus y penser. C’était débile, débile de ressasser tout ça. Oui, Xavier était quelqu’un de compétitif. Mais était-il du genre à laisser tomber un « ami » parce qu’il n’était plus si intéressant ? J’étais partagé là-dessus.

Au bout d’un moment, je finis par lui envoyer un message. « T’es où, merde ? ». Je me posais franchement la question de ce qu’on allait bien pouvoir aborder, comme sujet. Après presque un mois de silence. J’avais l’impression que des millions de choses m’étaient arrivées pendant ces quelques semaines. Des millions de choses qui faisaient de moi quelqu’un de différent. Peut-être n’était-ce qu’une impression. J’avais aussi hésité à venir, tout simplement parce que je risquais doublement de me faire envoyer chier. Xavier était doublement mêlé (indirectement devrai-je dire) à ma relation avec Ondine. Il était le pseudo petit ami de Candice ; la meilleure amie d’Ondine. Il était aussi le coloc de cette plaie d’Effie. Celle-là, je ne pouvais pas la sentir, et elle me le rendait bien. C’était comme ça depuis le début. Autant, entre Ondine et moi, il y avait toujours eu une bonne entente d’abord, puis l’étincelle d’amour qui manquait pour créer un vrai lien entre nous. Jusqu’à ce que l’avion s’écrase, mais ça c’était une autre histoire. Tout ça pour dire qu’avec Effie, c’était la haine profonde et vicieuse qu’il y avait. Et j’étais littéralement persuadé qu’elle devait s’en donner à cœur joie, et cracher pleinement sur la gueule du vilain Marcus qui avait fait souffrir l’angélique Ondine. Finalement, lassé d’attendre, je payai ma consommation, puis tournai les talons. Ce n’est qu’au moment de franchir la porte que je me retrouvai nez-à-nez avec Xavier. Enfin.

Ces derniers jours, tout s’était enchainé très vite et l’emploi-du temps de Xavier était tout bonnement passé du simple au double ! Outre le fait qu’il allait à l’université et qu’il s’entrainait ardemment à la danse ayant tout juste été titularisé à Broadway, il avait depuis peu une nouvelle colocataire dans un bel appartement dans l’Upper East Side. Effie ne lui prenait pas vraiment de temps même si elle était plus bordélique que lui, mais ils avaient commandé des meubles pour sa chambre et lui venait de s’offrir un splendide piano à queue. Ce dernier avait été livré aujourd’hui et avait pris plus de temps de prévu, empiétant même sur le début de soirée. Les relations sociales de Xavier n’étaient pas au beau fixe ces derniers temps non plus, avec Candice, les choses ne s’étaient pas forcément arrangées encore alors qu’il lui avait pourtant plus ou moins ouvert son cœur lors du bal, avec Effie ils faisaient tout doucement connaissance même s’ils se voyaient peu et sinon, il perdait un peu de vu les danseurs avec qui il était avant puisque désormais, il allait plus souvent à Broadway qu’à l’ancienne salle, plus intime. Marcus faisait partie des gens qu’il avait perdu de vue depuis un moment. Entre eux, les relations n’avaient jamais été très claires. Marcus était un type sympathique et passionné, comme lui, mais il était bon danseur. Et ça, ça avait le don d’énerver Xavier qui ne pouvait s’empêcher d’entrer en compétition avec les autres, surtout les hommes. C’était simple, il voulait être le meilleur. Point. Et il voyait en Marcus un rival de taille, il avait donc à l’époque préféré l’avoir à l’œil. Puis il y avait eu l’accident qui avait privé Marcus de la danse. Comme celui-ci ne venait plus s’entrainer, Xavier l’avait un peu oublié même s’il avait malgré tout gardé quelques contacts. Des petits Texto du genre « Salut, qu’est-ce que tu deviens ? ». Il s’était surpris lui-même à lui proposer d’aller boire un verre ensemble au Ginger’s. Il ignorait pourquoi il l’avait choisi lui, peut-être parce qu’il connaissait Candice, et parce qu’il avait eu vent de sa rupture avec Ondine. Mais il s’était souvenu de son existence. Ce serait l’occasion de renouer et repartir d’un meilleur pied.

Il avait donné RDV à Marcus pour 18h30, mais à cette heure-ci, les déménageurs étaient encore à l’appartement et pas question de les laisser seuls. Seraient encore capables de rayer son parquet bois massif. Il n’avait pas oublié l’heure, en revanche, n’avait pas vraiment pensé à le prévenir non plus. Et quand ils furent enfin partis, il attrapa sa veste pour aller au Ginger’s au plus vite. Il sentit bien son portable vibrer dans sa poche, mais n’y prêta guère attention, il se doutait bien que Marcus commencerait à s’impatienter et à sa place, il serait peut-être même déjà parti. Et quand il ouvrit la porte du bar, il tomba nez à nez avec Marcus justement qui semblait lassé. Son expression changea rapidement mais Xavier le tira vers l’intérieur. Il lui fit un petit sourire désolé. « Excuse-moi du retard Marcus ! Pour la peine, je t’offre un verre… » Dit-il dans l’espoir d’adoucir le beau jeune homme. Il était vrai qu’il avait trainé des pieds, regrettant presque son invitation, mais maintenant qu’il y était et qu’il avait Marcus face à lui, il fut envahi d’un bon nombre de souvenirs, bons ou mauvais, en tout cas, il se rendit compte que son bon vieux rival lui avait manqué. « Je suis vraiment content de te revoir ! je n’aurais jamais pensé ! » Et il était sincère et franc. Il retira sa veste et espéra vraiment que Marcus reste.