Cela était bizarre, d’une certaine façon. En l’espace de quelques heures, Rory avait retrouvé le comportement qu’elle avait quelques années plus tôt, lorsque tout était encore tout rose entre elle et Aria. Elle avait envoyé baladé son armure, celle dont elle s’était parée lorsqu’elle avait revu Aria lors de ce jeu télévisé, celle qu’elle avait mit des années à créer, et ce afin de se protéger d’autres “ trahisons ”, d’autres déceptions. Et elle ne se rendait même pas compte qu’elle était presque à l’aise avec Aria, qu’elle ne pensait même pas au ressentiment qu’elle éprouvait toujours pour la brune. Et les voilà, plaisantant et riant comme si de rien n’était. Ou en tout cas, c’était le cas de Rory.

« Bah tu crois quoi. Si jamais femme de ménage je gagne pas assez, je me reconvertirais en redresseuse de table free lance hein. » « Tu aurais au moins une cliente, c’est sûr ! » lança la blonde. Elle ne savait pas si elle disait cela plus par politesse, où si elle le pensait vraiment. Si Aria devenait femme de ménage, est-ce qu’elle l’engagerait réellement ? Et pourquoi ? Pourquoi elle et pas une autre ? Parce qu’elle savait qu’elle était efficace ? Ou pour une autre raison ? Rory secoua discrètement la tête, se sommant mentalement d’arrêter de s’embrouiller toute seule.

Aria plaisanta au sujet de concours de cuisine et de recettes secrètes, et Rory joua le jeu en lançant qu’elle avait été démasquée, se permettant même de donner une petite tape sur l’épaule de la brune. Ce contact, aussi bref fut-il, l’avait surprise elle-même et lui avait donné comme une décharge. Combien de temps s’était-il passé depuis la dernière fois où elle l’avait touché ? Trop longtemps, lui semblait-il. Elle fut sortie assez rapidement de ses pensées par la réponse d’Aria, qui n’avait pas l’air aussi remuée par ce geste qu’elle. « Promis, je serais muette comme une tombe. Bon, faudra p'têtre que t'achète mon silence en m'offrant un gâteau un jour, mais à part ça, je ne dévoilerais pas ton secret. » De quoi ? Acheter son silence ? Des pensées peu catholiques surgirent aussitôt dans son esprit, sans qu’elle puisse s’en empêcher. Elle connaissait des façons pour acheter son silence, oui. Et elle en venait presque à oublier que ce concours de cuisine n’existait pas réellement, priant pour qu’Aria lui donne une raison de vouloir la faire taire. Mais elle revint vite à la réalité, réalisant qu’Aria avait précisé “ en m’offrant un gâteau ”. Pas de quoi se faire des idées, donc.

Et puis, pourquoi est-ce qu’elle avait ce genre de pensées, hein ? Elle était supposée être passée à autre chose, ne plus rien ressentir pour Aria, si ce n’est de la trahison. Se rappeler la trahison en question lui fit un pincement au cœur et du se réfréner pour ne pas s’écarter brusquement. Elle n’avait pas envie qu’Aria remarque son brusque changement d’attitude. Elle fut reconnaissante envers Aria, qui choisit ce moment-là pour se mettre à balayer, donnant à Rory une excuse pour mettre une légère distance entre elles. Elle se mit aussi à terminer le ménage de son côté et, bien vite, elles eurent complètement fini. Aria lui fit des compliments sur son appart, et cela lui fit bien plus plaisir qu’elle ne voulait bien l’admettre. Rory ne répondit cependant pas, d’abord car elle ne savait pas quoi dire, ensuite parce qu’elle avait peur que sa joie s’entende dans sa voix. Et elle ne voyait vraiment pas comment expliquer ce soudain enthousiasme.

Elle détourna le sujet en proposant à Aria quelque chose à boire ou à manger, se servant elle-même un verre de jus d’orange. Sa proposition fut cependant refusée presque instantanément. « Oh, c'est adorable. Mais je dois y aller en fait, j'ai pas vu le temps passer, je suis vraiment désolée, j'ai des trucs à faire, mais c'était très gentil de proposer hein. » « Oh ! Je… oui, je comprends. C’est normal… » Elle avait du mal à cacher sa déception. Sans savoir pourquoi, elle aurait aimé qu’Aria reste, qu’elles discutent autour d’une boisson ou autre. Cette matinée lui avait paru tellement agréable, sans prises de tête. Elle ne voulait pas qu’elle se termine. Mais elle ne pouvait pas enfermer la brune ici, pas vrai ? « Je... C'est bien... Bah. Si t'as besoin de moi, tu peux me contacter. Fin t'as pas mon numéro. Je crois. Mais par Facebook par exemple. Je... A une prochaine fois, ok ? Ca m'a fait plaisir de t'aider. Bye et encore merci. » « Ben… non, merci à toi… » Mais elle n’avait pas eu le temps d’achever sa phrase que la porte s’était déjà refermée derrière Aria. La jeune fille était partie en toute hâte, débitant sa phrase de la même façon et en bafouillant.

Ce serait mentir que de dire que Rory avait compris ce qu’il venait de se passer, car ce n’était vraiment pas le cas. Elle se surprit même à ressentir à nouveau ce sentiment de déception, sans comprendre pourquoi. Aria avait d’autres choses à faire, c’était normal. Ou elle ne voulait pas rester en sa présence plus que de nécessaire, c’était normal aussi. Ou du moins, c’était compréhensible. La blonde soupira et passa sa main dans ses cheveux. Elle ne se comprenait plus elle-même. Elle aurait du être indifférente à ce départ précipité. Mais ce n’était pas le cas. Vraiment pas.