« Vivre est une chose si rare. La plupart se contentent d'exister. »

L'eau était froide, l'air était glacial. Mais ce qui la glaçait avant tout était la vision de Wolf fendant l'eau pour venir à sa rencontre. Alors qu'elle croyait vraiment qu'il allait s'emparer de sa gorge et achever ce qu'il avait commencé à l'infirmerie, il la prit dans ses bras et la serra si fort qu'elle se sentit étouffer. Sa limite, c'est elle, dit-il. Elle se sentit gonflée d'affection pour cet être qui allait sans aucun doute l'abandonner d'un instant à l'autre. Oui, elle avait vu juste.

La fin. Le point final a la fin du livre, le point d'interrogation après une question qui n'attendait pas de réponse car il n'y en avait pas, les points de suspensions pour laisser entendre que s'il y avait quelque chose à venir, nous n'en verrions pas la couleur. C'était fini. Game over, laisse tomber, tu as perdu. Alors c'était comme ça que cela devait se passer ? Mais pourquoi ? Était-ce son choix ou était-ce simplement une énième entourloupe de ce destin sans pitié ? Collée contre son torse, les pieds battants l'air en vain et ses mains repoussant sans résultat l'homme qui la maintenant prisonnière, elle songeait à ce qu'il lui disait, à ce sentiment d'horreur qui la submergeait lentement. La terreur lui nouait les tripes. Il était en train de la quitter, de l'abandonner à son sort sans lui laisser le choix. Elle avait été prête à se laisser couler, emportée par la vie et la mort. Elle trouvait ça stupide, elle n'aimait pas l'idée de se laisser mourir par acceptation. Le suicide n'avait jamais fait partie de ses plans, même lorsqu'elle s'était immergée dans l'eau. Elle aurait juste accepté de mourir, parce qu'il n'y avait plus que ça à faire. Mais ça, ça non, elle ne pouvait pas le supporter. La douleur dans sa poitrine à l'entente des mots de Rowen était insupportable. Elle avait envie de crier, de pleurer et de réellement voir son existence se finir ici. Se boucher les oreilles ne servirait à rien, cela n'effacerait pas la sentence qu'il prononçait d'un ton douloureux. Il arrêtait là. Elle n'aurait plus de frère dès l'instant ou il la lâcherait. Les mains posées sur ses épaules, il lui interdit de baisser les bras, et exécute ce moment tant redouté. Il se recule. Un simple pas en arrière, quelques mots d'adieu. C'est comme un deuxième cordon ombilical qui cède. Bientôt il la quitterait des yeux et elle serait seule, vraiment seule. Plus seule qu'elle ne l'avait été jusqu'ici. Tremblante, elle sent son esprit retomber dans le monde réel, même si à ce stade, elle ne sait plus quelle est la réalité commune. La sienne est tombée à l'eau, et Rowen avait été une sorte de point d'encrage sur l'île pour lui rappeler que tant qu'il serait là, la question de savoir quelle réalité était la bonne n'avait pas d'importance. Il allait falloir qu'elle apprenne à faire la différence.

Elle se rendit compte alors que simplement parce qu'il le lui avait interdit, elle allait se battre, s'efforcer de chasser les oiseaux de mort de son esprit. Elle allait apprendre à faire face à la vérité et à ce qui n'en faisait pas partie. Elle allait honorer sa dernière requête, la dernière avant qu'il ne la laisse définitivement. Le désarroi creusait un profond sillage dans son cœur, mais elle arrivait encore à en faire abstraction tant que Rowen était là. Il s'était tu, il la contemplait, ne baissait plus les yeux devant la blessure qu'il lui avait infligée. Il ne savait pas qu'en cet instant, il lui en faisait de bien pire, bien qu'aucune ne soit visible car enfoui en son moi-intérieur. Mais elle se taisait, restait impassible, gardait son regard ancré dans le sien, essayant de capter ses intentions, ses pensées, et se satisfaisait du semblant de sincérité dont il faisait montre. Cette dernière chose pourrait la consoler quand elle repenserait à ce moment, elle pourrait se dire qu'au moins il lui avait dit la vérité quand il lui avait dit tenir à elle. C'était tout ce qui comptait à présent, cette petite certitude. Oui elle y repenserait, car désormais elle se voyait un avenir. Parce qu'il le lui demandait. Elle ouvrit la bouche, et prononça sa propre requête d'un ton neutre et aussi inexpressif que son visage pâle.

« Ce n'était pas une illusion, tu n'as pas le droit de dire ça. J'y croyais, et j'y crois encore, et je veux que tu en fasses autant. »

Elle s'interrompit, brisa un court instant le lien visuel qu'ils entretenait pour fusiller les oiseaux du regard. Puis elle reprit.

« Je ferais ce que tu me demandes. Je ne baisserais pas les bras, parce que tu as raison. Mais je veux que tu me promettes une chose. Quand mon heure sera vraiment venue, je veux que ce soit toi qui m'emmène de l'autre côté. »

Lorsqu'elle était dans l'eau, elle l'avait vu se lever avec dans le regard une envie de tuer qu'elle n'avait pas négligée. Au fond d'elle, à cet instant, elle s'était dit qu'elle préférait mourir de ses mains que de toute autre manière possible. Le dernier contact dont elle aurait conscience avant de laisser son esprit à la mort, oui, elle voulait que ce soit ses mains, sa peau, son regard sur elle juste une dernière fois.
Alors elle avait bien le droit de lui demander cette toute petite faveur. Lui demander de la tuer quand son heure serait venue. Même si elle se doutait bien que cette idée ne lui plairait pas.

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