Vladislas, en ce début d'année scolaire, accueil son père chez lui, à New York même

Se fut avec un sourire hypocrite aux lèvres que j'accueillais mon père. Ses bras imitèrent mon attitude, en parfaite harmonie avec mon pseudo-sourire. Comme toujours, et avec lui seul, j'avais peur. Ma haine se noyait dans mes craintes. Qu'allait-il m'annoncer aujourd'hui? Que voulait-il m'inculquer de plus? Venait-il encore m'avouer sa déception à mon égard? Arrivait-il tout droit d'Australie, pays où il travaillait actuellement, pour me donner une correction? J'étais prêt, comem toujours, à recevoir ses coups. Je préférais peut être plus sa violence qu'à cet air qu'il prenait devant les autres, ce sourire faux, cet amour infecte. Mes lèvres tremblèrent malgré la sincérité de mon regard sombre, haineux et froid :

" - Papa, dis-je en le saluant de la tête. Entre.
- Cela fait quelques mois que nous nous sommes pas revu et tu te contentes d'aussi peu de mots, Vladislas?
- Assied toi, tu veux boire quelque chose? [...] Je m'arrêtais un instant, hésitant : Oui, excuse moi, je suis un peu fatigué, j'ai passé une nuit quelque peu mouvementée. Disons qu'une jeune étudiante en première année de psychologie vient de quitter les lieux, dis-je sans mentir.
- Oh, je vois. Tu commences à me plaire de plus en plus : à la hauteur de ton père."
Tiens donc. Et comme toujours, il ajouta :
" - Tu sais ce que je t'ai déjà dit. Ne t'adonne pas toujours avec une seule et même femelle. Elle risquerait de perturber la nature de tes sentiments et te condamner à lui appartenir.
- Je ne tomberais pas amoureux de cette étudiante, si c'est ce que tu veux dire.
- Ni d'une quelconque autre. Tu sais que je ne te le permettrais pas. Pas une seule fois.
- Tu veux boire quelque chose?
- Ne me coupe pas, siffla-t-il sauvagement.
- Excuse moi, dis-je moins tremblant.
- Essaye ne serait-ce qu'une seule fois de confier ton amour pour une seule femme et je ferai en sorte que plus jamais tu ne l'as revoit, Vladislas.
- Papa, ça n'arrivera pas.
- Il vaut mieux pour toi, comme pour elle."

Je le détestais pour ça. Il aimait contrôler nos vies. Mais surtout, il m'avait toujours arraché ce sentiment là, je ne savais pas aimer. Je n'aimerai probablement jamais. L'amour me dégoûtait. Il en était le seul fautif. J'avais été conçu pour faire du mal, pour manipuler, et j'aimais ça.
Mon père me demanda un verre de whisky, sans un regard pour moi, et je m'exécutais, comme toujours. J'étais différent en sa présence. Moins hautain, plus moi-même. Je perdais tout pouvoir et je n'avais d'autre choix que de me soumettre. Je voulais demander des nouvelle de maman. Mes lèvres brulaient tant mon amour pour elle n'existait presque plus et ne demandait qu'à être de nouveau libéré. Pourtant je n'avais pas le droit d'aborder ce sujet. Je savais que je n'obtiendrai aucune réponse si ce n'est sa violence, sa colère et son acharnement incessant. Elle me manquait pourtant, mais on m'interdisait ne serait-ce que de prononcer son nom. J'avais besoin de la voir pourtant. Besoin de ses bras. J'avais besoin d'un amour maternelle. J'avais besoin de l'affection et de la douceur d'une femme. Mais cette nécessité était empoisonnée. Je condamnais ma tendre mère si je m'y approchais de trop près et il en allait de-même pour une quelconque jeune femme.
J'aimais les voir souffrir, certes. Je me délectais de les voir s'accrocher à ma personne et m'aduler. Mais il n'était pas question pour moi de les soumettre à la torture animale de mon père.

Ce géniteur que je voyais disparaître au fond du couloir, cet être que je voulais voir périr d'une quelconque manière que ce soit, me quittait de nouveau après sa visite de contrôle. Il m'avait formé dans le but de ne ressentir le moindre scrupule à l'égard des autres : il y était si bien parvenu que je n'éprouvais pas le moindre amour pour celui qui m'avait arraché à ce monde. Je savais que sa perte aboutirais à ma propre liberté, au bonheur de ma mère, au plaisir des autres. Je savais aussi que je serai l'auteur de sa funeste disparition, d'une quelconque manière que ce soit, et qu'il laisserait ainsi une part de lui éternellement ancrée en moi parce que je serai, à mon tour, enfin prêt à procréer une machine à tuer.

fordham rocks.