C’était marrant, ça faisait tout juste trois mois que j’étais sorti de l’hosto, cette fois-ci j’y était resté depuis plus longtemps que d’habitude, j’avais pas tellement eu le choix non plus il fallait dire. N’empêche que cette fois j’étais plus résigné que d’habitude et j’avais décidé de me calmer un peu et d’essayer de reprendre un cours de vie relativement normal, c’était évidemment plus facile à dire qu’à faire mais ça irait peut-être mieux. Ou pas. Je savais pas et je verrais bien de toute façon, j’avais pris l’habitude de ne plus prévoir quoi que ce soit, de ne plus faire quoi que ce soit d’ailleurs, j’avais plus de vie depuis que mon frère était mort, c’était une habitude maintenant, pourquoi prévoir des trucs alors que j’avais pas l’intention de vivre après tout. Ce soir-là j’étais parti dans une ville pas trop loin, voir un pote, un des seuls qui me restait après ces deux ans de quasi insociabilité, en même temps il ne m’avait pas vu depuis longtemps et il était pas du tout au courant de ce que j’avais fait ces derniers temps alors il n’avait rien à perdre à me voir ou pas, et moi non plus d’ailleurs. C’était surtout histoire de dire que j’avais bougé pour la prochaine fois où je devrais rendre des comptes à ma mère. Finalement ça avait été une soirée assez pas horrible, j’étais quand même bien content de rentrer chez moi histoire de me retrouver tout seul un peu, parce que ça faisait longtemps là, en passant j’allais dans le centre commercial histoire d’acheter quelques trucs rapides à manger, vu ma capacité à cuisiner c’était pas la peine de risquer de faire une intoxication alimentaire. Quoi que je m’en foutais pas mal. Une fois sorti je retournai vers ma voiture, c’était la seule du parking avec un espèce de van qui avait pas l’air d’en être à sa première jeunesse, en passant à côté j’entendis un espèce de bruit bizarre, comme quelqu’un qui toussait ou qui s’étouffait carrément. Du coup, pas spécialement par curiosité mais plus au cas où j’avais la possibilité d’empêcher cette personne de crever, j’allais jeter un œil par la fenêtre arrière. Y’avait pas tellement d’éclairage mais on pouvais très bien voir qu’il y avait une fille en train de tousser à mort, elle avait pas l’air non plus à l’agonie mais j’avais quand même envie de m’assurer que ça allait. Ou peut-être juste d’entrer, de la voir mieux qu’à travers la vitre, de lui parler… Je savais pas pourquoi, moi qui ne m’étais intéressé à personne depuis des mois et des mois, j’avais envie de connaître cette fille qui squattait un vieux van sur le parking pourri dans une ville totalement morte. J’étais vraiment pas bien dans ma tête parfois. Je m’approchai encore un peu plus de la vitre et mis mes mains autour de mon visage pour mieux voir, j’étais con de faire ça, ça devait être moitié flippant en fait. Mais bon j’allais pas joyeusement ouvrir la porte parce que c’était pas sûr que ce soit super rassurant non plus. - Hey meurs pas ! lançais-je. La porte arrière était très légèrement entre ouverte du coup à priori elle pouvait m’entendre, et en plus elle avait arrêté de tousser alors comme ça c’était plus simple. La porte s’ouvrit un peu plus et la première réflexion que m’envoya mon cerveau c’était qu’elle était jolie, même avec les yeux un peu embués de larmes et le visage moitié rouge, c’était très con, comme réflexion. Je lui demandais ensuite, avec tout le tact du mec qui a vécu en hibernation pendant deux ans, ce qu’elle foutait ici en lui demandant si elle squattait le parking. Elle alluma la lumière dans le plafond du van avant de me répondre, pas bête remarque, j’étais un peu en faux jour et ça devait être relativement flippant de se faire agresser comme ça en pleine nuit, heureusement elle avait pas l’air totalement paniquée et elle semblait pas non plus sur le point de hurler, de se barrer en courant ou de me frapper avec quelque chose. Elle me répondit qu’elle vivait ici – dans le van ou juste dans la ville, je savais pas – et qu’elle s’appelait Lizzie aussi. Je sais pas trop ce qu’il se passait dans ma tête mais j’avais tout à coup l’impression d’être redevenu sociable, vivant limite, ce qui était relativement débile, mais l’occasion était bonne à prendre alors je me présentais à mon tour avant de m’asseoir carrément à côté d’elle. Dans le genre incruste c’était pas mal du tout. J’avais vraiment du mal à comprendre pourquoi tout à coup j’avais l’air bien, pourquoi j’étais carrément bien d’ailleurs, pourquoi je paraissais « normal ». N’empêche que c’était toujours mieux comme ça et je tenais pas à ce que cette impression d’être bien s’en aille si vite. - Je te dérange pas au moins ? demandais-je pour la forme, après m’être présenté à mon tour. Je devais vraiment passer pour le gars qui n’a pas l’intention de dégager même si on lui suggérait, bon évidemment si elle me demandait de dégager je le ferais et je comprendrais bien, elle avait peut-être pas envie non plus qu’un illustre inconnu lui tape la discut’ sans raison à cette heure là. Pourtant elle me répondit en restant à me dévisager sans que je ne comprenne pourquoi, finalement je faisais peut-être plus peur que ce que j’imaginais, peut-être que je savais plus du tout comment faire pour aborder les gens, j’avais un peu oublié comment on faisait pour être sociable en fait. En tout cas elle n’avait pas l’air effrayée mais plutôt très concentrée sur mes yeux. Je ne savais pas trop où ça allait nous mener ça, je ne pouvais pas non plus dire que je savais pas comment faire avec les filles parce que c’était quand même pas le cas, j’étais peut-être resté seul pendant deux ans mais avant ça j’avais quand même eu une vie. Mais là c’était différent, les autres filles avant ne m’intéressaient pas, si j’avais été avec certaines d’entre elles c’était juste histoire de dire, parce que tout mes potes avaient des copines alors pourquoi pas moi aussi, j’étais pas vraiment intéressé parce que j’étais jeune et que c’était plus marrant de trainer avec mes potes sans fille dans les pattes, et à partir du moment où j’aurais pu commencer à m’intéresser vraiment, un connard avait renversé mon frère et avait détruit la vie d’une famille entière par la même occasion. Alors après ça, être seul c’était la seule chose dont j’avais vraiment envie… Je ne savais pas vraiment pourquoi toutes ces informations me venaient en tête maintenant, juste en voyant Lizzie devant moi, je ne la connaissais pas, c’était une inconnue pour moi et pourtant ça paraissait changer quelque chose au fond. Incompréhensible. Seulement depuis quelques temps j’avais renoncé à comprendre mon mode de fonctionnement parce que ce n’était plus utile, mais là j’avais envie de chercher. C’était assez idiot en y réfléchissant bien, j’avais pas de raisons de changer comme ça d’une minute à l’autre, j’avais pas de raison de devenir sociable et de parler à quelqu’un par pure envie et sans que personne ne m’y ait forcé. Sauf que c’était agréable et que ça faisait du bien, pour la première fois depuis trop longtemps. Apparemment passé la peur qu’un total inconnu ne vienne lui parler à la tombée de la nuit, Lizzie avait l’air contente que je sois là, c’était rassurant qu’elle dise ça parce que moi aussi j’étais content d’être avec elle, même si je n’aurais probablement jamais osé lui dire.

ok by Dylan