Impossible de passer une nuit paisible. Voilà plus de dix jours que Luke n'avait pas dormi plus de quatre heures, reprendre des forces lui était primordial, il en avait besoin en ce moment, mais ça lui était irréalisable. La fatigue prenait le dessus dans la journée, il s'endormait en cours, lorsqu'il se risquait à y aller, ou passait ses journées affalé dans le canapé du salon, le regard perdu dans le vide. Il ne mangeait presque plus, son visage s'était creusé, il était pâle, couleur qui allait en contraste avec celle des cernes qui entouraient ses yeux. Plus aucune motivation n'animait son esprit, tout paraissait sombre, monotone et ennuyant. Il ne voulait plus sortir de chez lui, jouer avec son groupe, étudier à l'université, voir ses parents, voir qui que ce soit d'ailleurs... tout était futile, inutile, inaccessible. Luke n'était plus lui-même, comme si cette joie et cet optimiste l'avaient lâchement abandonné pour laisser une carapace vide, un homme détruit, qui, rongé de l'intérieur par la tristesse et le désespoir, ne voyait plus l'intérêt de respirer si toutes motivations ou tout but l'avaient quitté. Voilà bien trop de temps que les mauvaises choses s'enchaînaient, si bien que le guitariste n'avait pas vu l'ombre d'une bonne nouvelle depuis trop longtemps. Son père, actuellement détruit, n'arrivait pas à trouver la moindre trace de ce fils qu'il n'avait jamais connu. Il en souffrait, et ça se voyait : peu loquace, enfermé dans son bureau à longueur de journée, il refusait tout contact sans pour autant avouer cette nouvelle surprenante à son épouse qui en souffrait tout autant. Elle s'imaginait les pires scénarios, et voyait déjà son mari dans les bras d'une autre femme. Elle pleurait, toutes les nuits, et ne pouvait compter sur personne, incapable d'entretenir la moindre discussion avec son mari. Luke l'avait cherché, ce frère qu'il n'avait jamais vu, mais les indices étaient minimes, il avait l'impression de tourner en rond, et voir son père chuter un peu plus dans ce gouffre le minait. Puis, s'en suivait ses problèmes de santé. Il était dans une situation dangereuse, en équilibre sur des lames de rasoir : il devait arrêter de fumer s'il ne voulait pas se retrouver accabler d'une maladie grave, ou offrir la chance à une tumeur de le tuer à petit feu. Puis, le groupe. Ils n'étaient pas assez bien payé, les relations avec leur manager se dégradaient, ils se dispersaient bien qu'il restait ce petit espoir logé au fond de chaque membre. Mais Luke, accablé par toutes ces choses, ne se sentait pas capable de faire comme si de rien n'était, comme si tout allait bien. Et enfin, sa vie sentimentale. Il était amoureux, fou amoureux, comme un dingue, si bien que songer à cette femme jour et nuit le détruisait. Il avait peur, à chaque instant de la perde, qu'elle ne se lasse, qu'elle l'oublie, qu'elle ne le jette, ou qu'il ne soit pas à la hauteur de ses attentes. Everleigh paraissait être une femme inaccessible, la demoiselle désirée de tous, celle qui ne prendrait pas un misérable comme Luke pour compagnon. Toutes ces choses prenaient une ampleur trop importante dans la vie du guitariste, il avait l'impression d'être suivi par la malchance quoi qu'il fasse, il ne voyait plus l'intérêt de continuer, pas le moins du monde.

Il n'était pas sorti de toute la journée. Tyler, son meilleur ami mais aussi colocataire, avait préféré le laisser seul histoire qu'il se repose. Il savait parfaitement que le musicien n'allait pas bien, d'ailleurs, n'importe qui l'avait remarqué, un imbécile le lirait dans ses yeux. Le chanteur était donc allé à l'université, en prenant soin d'appeler lors de ses pauses pour prendre des nouvelles de Luke. Ce dernier répondait, constamment les même choses, et raccrochait avant de retourner dans sa chambre, inerte, un pantin articulé, sans âme ni conscience. Tyler avait prévu de sortir ce soir, de passer quelques heures avec des amis. Il avait oublié ses clefs, alors Luke prit soin de ne pas verrouiller la porte d'entrée. Sur un fond de metal, la chaine hifi hurlant à plein poumons, le musicien était là, posté dans la salle de bains, les yeux rivés sur son reflet dans le miroir. Il avait une mine affreuse, et lui-même s'en rendait compte dans cette longue observation. Quelques mèches de cheveux retombaient nonchalamment sur son visage, il paraissait épuisé, incapable de marcher. Et pourtant il restait là, les yeux rivés sur ce reflet qui le dégoûtait plus qu'autre chose. Sur le meuble en face de lui, autour de l'évier, des objets divers, à commencer par son téléphone portable. Il avait envie d'appeler sa mère, son père, ses amis, Everleigh... leur dire à quel point il les aimait, ce qu'il aurait aimé leur prouver, remercier ses parents, faire part de ce qu'il aurait aimé avec Evy... oui, l'épouser, avoir des enfants, lui offrir une maison somptueuse, et surtout, la voir heureuse jusqu'à la fin. Il en avait envie, plus que n'importe quoi d'autre. A cette simple pensée, le brun sentit sa gorge se nouer, et il lâcha un sanglot, baissant la tête. Les mains appuyées sur le comptoir, Luke perdait peu à peu le contrôle de ses jambes. Elles tremblaient, son cœur battait à tout rompre. L'heure était venue.

Luke prit la bouteille d'alcool posée sur le comptoir, et l'ouvrit dans un geste las. Le bouchon tomba dans l'évier dans un bruit tintant, couvert par celui de la musique, les amplis qui vomissaient des hurlements et des riffs de guitares endiablés. Il but une longue gorgée, puis essuya ses lèvres du revers de sa main, avant d'attraper la plaquette de gélules posées près de son téléphone portable. Il ne regardait pas ses mains, et continuait de fixer son reflet dans le miroir, alors qu'il détachait les médicaments de leur support, un par un, l'air plus déterminé que jamais, malgré les larmes qui ruisselaient sur ses joues à ne plus en finir. C'est alors que contre toutes attentes, Luke porta les gélules à sa bouche pour les avaler, à l'aide d'une longue gorgée de whisky. Chose faite, le guitariste se surprit à tousser, avant de prendre une profonde inspiration. Le mal était fait, il ne pouvait à présent plus retourner en arrière... Il s'assit au sol, avant de s'allonger lentement sur le dos. Le carrelage entra en contact avec son bras gauche, la sensation fut étrange, comparé à la chaleur ardente de son corps. C'est à cet instant que le musicien se rendit compte de ce qu'il venait de faire, et les larmes redoublèrent. Il plaqua une main sur ses yeux, se laissant aller à des pleurs incontrôlables, alors qu'il sentait sa tête lui tourner avec folie.

Il venait de se tuer.

ok by Dylan