T'as beau dire que tu rêves plus, que pour toi c'est fini, que t'es assez grand avec les pieds sur terre, au fond t'as toujours ce petit espoir inaccessible que t'essaies d'oublier comme tu peux, pour pas te faire trop de mal en réalisant que les rêves, c'est fait pour être rêvé. Moi, j'ai décidé que les rêves c'était fait pour être réalisé, quels qu'en soient les moyens. Et c'est la grosse pomme que je veux conquérir. Ni plus, ni moins. Mais pour comprendre un peu les origines de tout ça, il va falloir remonter un peu dans le temps …

Marya Ivanova est née en 1964 en Bulgarie, où elle y fit ses études jusqu'à l'âge de vingt et un ans. Elle était dans un bar au beau milieu de la nuit, entourée de ses amis. Elle était belle, jeune, la vie semblait lui sourire, mais au fond elle ne pouvait oublier cet inconnu qui, quelques heures plus tôt, lui avait murmuré de douces paroles incompréhensibles mais aux sonorités rassurantes, plaisantes. Elle avait frémit sous ses caresses, s'était abandonnée toute entière à cet individu qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam. Et là, assise sur cette chaise, entourée de rires et de bruits de fête, elle ne pensait qu'à son visage rieur, entouré de boucles brunes. Elle ne connaissait même pas son prénom, avait juste un numéro de téléphone écrit sur sa main, gravé dans son esprit. Elle était irrémédiablement amoureuse d'un inconnu. « Sasha, j'ai besoin de ton aide. » Son amie de toujours, qui parlait un peu anglais l'aida à retrouver Alec Hudson, un américain alors de séjour en Bulgarie qui séjournait chez sa grande tante. Encore aujourd'hui, Marya se souvient de l'adresse exacte. Pendant un mois et neuf jours exactement, Marya et Alec ont entretenus une liaison passionnelle. Pour la jeune Bulgare, il ne faisait aucun doute qu'Alec était l'homme de sa vie, et c'est tout naturellement qu'elle le suivit jusqu'à Kenosha, dans le Wisconsin. Elle ne parlait pas un mot d'anglais à l'époque, hormis les I love you qu'Alec lui murmurait si souvent. Elle avait tout abandonné pour ses beaux yeux, elle était persuadée que c'était le grand amour.

Pendant 5 ans, elle réussit à s'adapter tant bien que de mal à sa nouvelle situation. Femme au foyer, subissant des difficultés d'intégration, ne parlant que très peu anglais, elle était seule. Alec l'épaulait comme il pouvait, mais devait travailler pour subvenir aux besoins du couple. Pourtant elle était heureuse. Les trois années qui suivirent ressemblèrent plus à une descente aux enfers. Marya découvrit que son cher et tendre la trompait sans vergogne, mais n'avait pas le choix de rester avec lui pour survivre. Elle n'avait plus aucun contact avec sa famille depuis son départ. À l'âge de 29 ans, elle tomba enceinte et accoucha d'une petite fille qu'elle choisit de nommer Sasha en l'honneur de sa meilleur amie, et Alec choisit le prénom Blue. Peu de temps après, Marya réussit à trouver un travail dans un restaurant, pu quitter son mari et s'installa dans un autre quartier de la ville, pour y élever sa fille. Alec ne donna plus jamais de signe de vie. Vous l'avez deviné, Marya est ma mère. Et moi, j'ai pris le nom de famille d'un fantôme, un connard de fantôme.

« Sale Russe. » Vive la fin de la guerre froide, vive le modèle américain. Combien de fois je l'ai entendue, cette phrase ? Elle fusait sur mon passage, et m'obsédait. « J'suis Bulgare, connard. » Oui, j'ai un accent. Léger, certes, mais un accent quand même. Toute mon enfance, ma mère m'a parlé Bulgare. J'ai appris à comprendre le monde autour de moi dans la langue Bulgare. Ce n'est qu'en rentrant à l'école que j'ai été obligée d'apprendre l'anglais. Je me revois, habillée comme un sac, des petites couettes sur la tête, regarder la maîtresse sans comprendre un traître mot de ce qu'il disait. Et j'ai travaillé des heures durant pour pouvoir m'enlever l'étiquette d'étrangère collée sur le front, jusqu'à devenir totalement bilingue. Sale russe. Quelle bande d'imbéciles. Quand on est petit, on ne pardonne pas. Quand je demandais à ma mère d'arrêter de me parler Bulgare, elle me regardait, les yeux remplis de larmes. Elle s'en voulait. Elle s'en voulait de ne pas avoir pris le temps, en 8 ans, de prendre des cours d'anglais, de voir le monde, au lieu de s'enfermer dans sa vie de femme au foyer. Et je lui en voulais énormément aussi. Pour moi, elle était responsable de toutes les insultes, elle était responsable de tout. Fallait pas qu'elle tombe amoureuse, c'était tout. « Pourquoi t'es pas restée en Bulgarie, tu peux me le dire ? Hein, dis le moi ! Ton mari se serait sûrement pas barré, t'aurais pas eu à t'intégrer, et moi j'aurais pu avoir une vie normale tu entends ?! NORMALE ! » C'était le discours que je lui tenais régulièrement. Je crois que c'est elle qui m'a donné le goût de l'indépendance. Ne dépendre de personne. C'est un but que je me suis fixé. Et que j'ai toujours tenu. Toujours me débrouiller par moi-même. Be your own hero.

Je n'ai pas eu une enfance des plus heureuses et agréables, certes. Mais je n'en suis pas pour autant le Caliméro de la vie, car c'est à l'âge de 16 ans que tout a commencé à basculer. J'étais assise sur un banc dans le parc de la ville, jusque là rien d'anormal. Mais j'ai franchement commencé à prendre peur quand un inconnu a posé sa main sur son épaule. Non mesdemoiselles, ce n'était pas le prince charmant. Ce n'était pas mon père. C'était mieux, mille fois mieux. C'était mon ticket de sortie, celui qui allait me propulser à l'état de célébrité dans la ville, qui allait me rendre populaire, acceptée. Ce qu'il m'a proposé, c'était un contrat dans une agence de mannequinat. Des shootings photo. Des défilés. Dès lors, tout m'appartenait. J'ai pris conscience que mes origines Bulgares pouvaient se révéler être des atouts. Dans mon lycée, je suis passée du statut d'immigrée à celui de personne à suivre. La sensation vertigineuse que le monde s'ouvrait enfin à moi. Rien n'était impossible, rien. Je suis devenue une vraie petite reine. Avec le comportement qui va avec, aussi. Je le sentais bien, que j'étais hautaine, parfois injuste. Mais c'était tout ce qu'ils méritaient, vu la façon dont ils m'ont traitée. Oui, je suis rancunière. Et je n'aime pas les gens qui jugent sur les apparences. Pendant deux ans, j'ai conquis la ville, on se retournait sur mon passage. Et j'ai décidé que Kenosha ne me suffisait pas : c'était à New York que je voulais faire ma place. À l'âge de dix-huit ans, j'ai préparé mes valises, et je suis partie. Comme ça, sur un coup de tête. Je me disais qu'on me reconnaîtrait, qu'on me ferait une place au soleil. Et à partir de là, à moi la belle vie !

C'est en arrivant au beau milieu de New York que je me suis rendue compte qu'ici, je n'étais rien. Un simple grain de sable dans la ville, qui essayait désespérément de trouver une place avec un haut statut. Je n'étais rien, mais je pouvais devenir quelque chose. C'était il y a un an. Depuis, j'ai trouvé un poste de serveuse dans un bar branché de la ville, je suis bien payée, j'ai un logement, et j'ai entamé des études. Ma place je l'obtiendrai, et si il le faut je jouerai des coudes. Je ne sais pas encore jusqu'où je suis prête à aller pour réussir, mais ça peu aller très loin ...

bienvenue sur le forum