La ville était encore déserte à cette heure très avancée de la matinée. Si tant est que l’on puisse dire de Los Angeles qu’elle ne soit jamais déserte. Mais bref. Il était six heures du matin, et Harper remontait Hollywood Boulevard au pas de course, le casque de son iPod bien calé sur sa tête, encore un peu dans le brouillard, tandis que le soleil se levait timidement sur la ville, éclairant ici et là les vitrines des magasins ou les voitures garées le long des trottoirs. Arrivée sur le Walk of Fame, Harper piétina sans remords l’étoile d’Elizabeth Montgomery, avant de s’arrêter sur celle de Spencer Tracy, le temps de reprendre son souffle. Elle remarqua quand même qu’elle n’était pas seule, et qu’autour d’elle, une armée – au moins – de touristes chinois, armés d’appareils photo dernier cri, était aussi sur les lieux, et qu’ils immortalisaient à qui mieux-mieux les étoiles qu’elle avait foulées tant de fois. Harper sourit tandis que les asiatiques s’émerveillaient en reconnaissant les noms gravés sur le trottoir et elle reprit sa course.
Elle aussi, se rappelait-elle, elle avait été fascinée par ses étoiles et avait passé des heures à les regarder, en espérant qu’un jour, un jour, elle puisse inaugurer la sienne. Oh, elle ne se faisait pas d’illusions, elle n’était même pas encore une petite starlette. Elle avait été folle de joie quand elle avait tourné deux scènes dans un long-métrage, un an plus tôt, mais à la sortie du film, elle s’était aperçue que les deux scènes, justement, avaient été coupées au montage. La gloire était encore bien loin…
Harper soupira tandis que dans ses oreilles résonnait la dernière chanson de Lady Gaga. Elle continua quelques centaines de mètres au son de la musique, se donnant du courage, de ce courage dont elle commençait à manquer. Passant devant une boulangerie française, elle s’arrêta, et sachant que pourtant elle n’aurait pas dû, elle s’acheta un croissant au beurre. Elle le dégusta sur un banc, regardant la ville s’animer peu à peu autour d’elle. Il était bientôt 7 heures et Harper le savait, Los Angeles ne tarderait pas à grouiller telle une fourmilière. Une fois avalée sa viennoiserie (elle le regretterait très vite, cette petite faim), elle reprit le chemin vers chez elle. Là aussi, elle poussa un gros soupir. Non seulement, le loyer lui coûtait une fortune, et selon elle, l’appartement ne valait certainement pas les 900 dollars qu’elle laissait chaque mois, et surtout elle devait le partager avec Jasmine. Oh, Jasmine était sympa, rien à dire, mais elle était très désordonnée, c’était le moins que l’on puisse dire. Harper n’était pas maniaque, mais quand même, elle commençait à en avoir assez du bordel de sa colocataire. Les vêtements qui traînent, la vaisselle jamais faite, la salle de bains qu’on croirait qu’un bombardement venait d’avoir lieu… Harper avait timidement fait quelques remarques, mais Jasmine les avait repoussées de la main, et depuis, la jeune fille se contentait de ranger derrière elle, tout en serrant les dents.
Mais aujourd’hui, se dit-elle, tout pouvait changer. Elle avait réussi à obtenir une audition. Et pas n’importe laquelle ! Pour un teen show très en vogue, et qui avait besoin d’un nouveau personnage de garce pour se renouveler. Harper avait lu et relu le scénario et les dialogues qu’elle devait apprendre pour le casting et elle se sentait prête à tout pour obtenir le rôle de cette Gabriella. Elle savait qu’elle ne serait pas la seule, qu’elle affronterait une horde de jeunes actrices aux dents longues, mais son agent avait l’air confiant. Alors pourquoi pas elle ?
Oui, pourquoi pas ? pensa Harper en poussant la porte de l’appartement, se cognant dans une des bottes de Jasmine. Il le fallait, il fallait qu’elle s’en aille d’ici, il en allait de sa santé mentale. Et pour ça, elle était prête à tout. À tout.

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