La nuit qui se profilait était belle. La lune pointait le bout de son nez en cette fin de semaine pluvieuse. San Francisco voyait ses demeures s'illuminer, se remplir de retrouvailles, de câlins, d'attention, d'amour, de joie, de vie. Les enfants étaient rentrés pour le week-end, les couples se retrouvaient après une longue journée de labeur, les travailleurs de nuit s'afféraient à se garer et à se mettre en tenue, les boîtes de nuit testaient les lumières et le son attendant impatiemment les prochains fêtards, les bars se remplissaient et les restaurants se vidaient.

Elena était toujours chez Mia, sa nounou. Je lui avais demandé si elle ne voulait pas la garder jusqu'au samedi car j'avais un dîner important à l'Université, et que j'allais rentrer très tard. Mia avait accepté ; c'était une chic fille. Prête à aider, à donner un coup de main. Vraiment bien comme baby-sitter. Je la payais ce que je lui devais comme il fallait. Je comprenais tout à fait son positionnement ; jeune étudiante, un peu dépourvue d'argent, qui cherche à subvenir à ses besoins sans empiéter sur ses cours et sa vie personnelle.

Le dîner était barbant. Je le savais de toute façon. Le doyen de l'Université m'avait invitée à une soirée donnée en l'honneur de l'ouverture d'une nouvelle section universitaire. Mouais. Pas très folichon comme soirée. Vu que je commençais à m'installer de plein pieds à Berkeley, j'étais "obligée" de m'y rendre et de faire bonne figure. Serrer des mains, sourire, parler bouquin, préparation des cours, recrutement de chargés de cours, examens, écriture d'ouvrage, recherche scientifique... On était vendredi, mais il fallait quand même que je veille sur le campus pour leur plus grand bonheur. Une fois, ça va. Mais pas tout le temps non plus. J'ai une vie ; une fille à nourrir et une maison à tenir...ah oui, et des copies à corriger et des cours à préparer, du linge à faire tourner et des histoires à raconter.

22h. Il était temps que je prenne congés. « Merci messieurs. Ce fut très intéressant et particulièrement... riche en rencontres. Bonne soirée. ». Je saluai quelques autres têtes aperçues auparavant, d'autres avec qui j'avais échangé quelques mots.

Je repartais à pieds. La nuit commençait à tomber bien comme il fallait sur San Francisco, l'air était humide - il avait plus, ça se voyait - mais le ciel était très clair, présage de beau temps à venir. Les flaques n'avaient plus autant d'eau que ce matin où ça débordait de partout. Les trottoirs étaient moins glissants et je n'avais plus peur de me faire arroser par une voiture.

C'était plaisant ce petit retour à pieds. Je passai par les petits chemins que m'avait montrés Adam au temps où nous allions nous promener dans les entrailles du campus ; les raccourcis, les ruelles étroites mais vivantes, sentir différentes odeurs de restaurants, snack, cabane de sandwichs et de kebab. Ca sentait bon, ça donnait envie...!

Je passai par le cimetière. C'était bien calme, ce qui était normal me direz-vous. Je regardais quelques pierres tombales ici et là et m'arrêtai sur celle d'Adam.
« Tu as le bonjour de Mitch, tu sais, mon accolyte de civilisation hollandaise, 2ème année. Toujours aussi grassouillet...et un peu pervers. »
Adam m'écoutait, je le savais très bien. Il devait être assis au bord, les mains sous les fesses, la tête penchée, les yeux ravageurs qui regardaient ailleurs et un sourire inconscient, comme s'il n'était pas très intéressé par ce que je déblatérais.

Je restai là pendant une bonne quinzaine de minutes avant de reprendre ma marche. Je sortis du parc quand je vis la cathédrale allumée. Mince, on est vendredi soir, il a plu, y a personne dehors, il fait nuit et la cathédrale est ouverte. Je m'approchais tant bien que mal et lut une affichette.

"Un vendredi par mois, la Cathédrale offre la possibilité de venir se confesser toute la nuit [...]". Voilà qui est plutôt bien pensé. Pourquoi venir le jour quand on ne peut pas alors que la nuit, ce serait plus simple ?

Je mis un pied à l'intérieur et je l'entendis résonner dans tout l'édifice. Je levai la tête, étudiant chaque recoin du bâtiment. Cette cathédrale était vraiment jolie. Je ne suis pas croyante, mais je crois en un dieu. Je pense que quelqu'un nous écoute, nous console sans qu'on le sache. Je m'autorisai donc à pénétrer dans la Cathédrale. Il n'y avait personne. Je regardais ma montre ; 22h30. Bon, une petite prière et je rentre.

Je m'installai sur un banc, proche de l'autel, prit mes mains l'une dans l'autre, entrecroisant mes doigts, ferma les yeux et commença à demander à cet être divin et solennel de protéger Elena, la plus bel enfant du monde. Je crus tellement à ms paroles que j'entendis un bruit sourd, comme si je n'étais plus seule, comme si quelqu'un m'avait répondu par ce bruit. Je n'osai pas ouvrir les yeux et continuais à prier en silence...

→ Let's go Knicks.