« T'es qu'un minable... » Le temps s'arrête et se suspend à ces simples mots. A cette petite phrase, si petite, mais tellement pleine de sens. A cette petite phrase qui te fait mal et te brise, en un millième de seconde. Redeviendras-tu poussière ? Maintenant que tu sais qu'elle ne te voit que comme le corbeau, le vautour au-dessus des femelles ? Drôle d'idée, drôle de sensation que d'entendre la fissure creuser ton âme, ton égo, te creuser toi. En venant à sa rencontre, tu voulais te rassurer, savoir qu'elle avait conscience que tu n'avais jamais pensé à mal, qu'elle te connaissait toujours, qu'elle te connaissait encore, mieux que les autres, mieux qu'eux : les acteurs de ta nouvelle vie. Tu ne t'étais pas préparé au couperet final, à l'idée même qu'elle puisse te juger si durement. Tu avais voulu croire en elle.. Mais la lâcheté a toujours un prix finalement, comme les erreurs ont toujours des conséquences. Tu baisses les yeux sur tes mains crispées sur la table. Tu cherches un point d'ancrage, une échappatoire plutôt que de faire face au jugement de Satyne. Tu ne veux pas croire qu'elle te voit ainsi, ce misérable. Après tout ton acharnement à la rejeter, qu'elle te prenne pour un minable n'aurait pas dû t'accabler autant. Mais les choses n'avaient été que mensonge. Comme toute ta vie, d'ailleurs. Tu aurais pu apprendre à vivre avec l'absence de Satyne, mais pas avec le jugement qu'elle porte sur toi à ce moment précis. Elle n'avait encore jamais eu l'audace, l'idée de te juger, même quand plus jeune tu faisais les pires conneries. Alors, t'accuse le coup et tu as un geste de recul. T'es dégouté. Pas d'elle, pas de ses mots, mais de toi et de tes fautes. « Je.. » Mais rien ne sort. Elle ne te laisse pas le temps pour ça, te rabâchant plutôt qu'elle n'en a rien à faire, que vous n'êtes plus amis et que par conséquent, tu ne lui dois rien. C'est ce que tu as essayé de lui faire comprendre depuis le festival, tu le sais bien, mais dans la bouche de Satyne, c'est difficile à encaisser. Pourquoi n'arrive-t-elle pas à comprendre que c'est faux ? Que c'était un moyen de protection ? Que tu fuis pour une seule et unique raison : tes sentiments envers elle, qui te broie et te déchire dès qu'elle est en face de toi. Peut-être as-tu été trop loin dans tes mensonges pour qu'elle y trouve d'elle-même la vérité. Tu es surtout bien stupide de croire qu'elle peut encore lire en toi, comme elle te lisait autrefois.

Tu restes néanmoins pendu à ses lèvres comme un con qui ne sait pas quoi faire. Tu ne sais pas quoi faire de toutes ses paroles qu'elle te sort, de ses phrases et de leurs sens. Tu as peur de réfléchir et de comprendre qu'il est trop tard pour toi, pour elle et pour vous. Tu as peur de voir que là où toi tu mens, elle ne fait que mettre un mouchoir sur vous. Parce que c'est ce qu'elle fait non ? Au final, c'était plus facile quand elle n'était pas là, quand sa présence ne se résumait qu'à des souvenirs, qu'à des sourires imaginés juste avant de fermer les yeux, qu'à des rires et des yeux heureux. Quand elle n'était qu'une ombre que tu pouvais contrôler. Tu pouvais t'imaginer que de là, où elle était, elle pensait à toi, ne t'oubliait pas. Maintenant qu'elle est là, c'est soudain plus douloureux. Tu ne peux pas lui dicter ses sentiments et tu te retrouves à encaisser son mal-être et à le ressentir à ton tour. « Et puis j'aurais aussi aimé croire que nous, on allait durer. » Ce nous te frappe en pleine figure, encore davantage. Tu voudrais lui dire que c'est ce 'nous' qui t'as fait fuir, qui t'as fait mal. Tu voudrais qu'elle comprenne que ce 'nous' n'était pas assez pour toi. Mais tu restes muet. Tu perds le fil de son monologue. Tu te perds dans une mer déchainé, où tu bois la tasse. Tu ne cherches plus très bien à écouter, ni a essayé d'attraper une bouée de secours et tu n'entends que quelques bribes. Des bribes qui te flagellent et te mettent au supplice, comme un martyr devant dieu. Elle bat le fer pendant qu'il est encore chaud et te sort tellement de choses que ça en vient à t’écœurer. Tu comprends qu'elle croit que tu l'as oublié, que tu l'as zappé, que tu l'as effacé comme elle a effacé ton numéro puisqu'au final, c'est tout ce que tu retiens. Tu repousses les phrases où elle disait qu’elle avait essayé de t’attendre, qu’elle avait cru en toi même dans la distance, qu’elle avait espéré avoir un signe. Tu te souviens bien de ces moments-là, où sur ton téléphone s’affichait son prénom, où sa musique préférée résonnait dans la pièce, où tu pensais à elle, où tu as jamais pu t’expliquer aussi.. Pourtant, tu aurais voulu décrocher et lui dire qu’elle te manquait, que tu regrettais parfois de n’avoir rien dit. Tu aurais aussi voulu avoir le courage de lui demander de te rejoindre, d’être présente dans ta vie, en espérant qu’elle te tienne la main. Mais non, tu n’avais jamais rien fait, la laissant croire à ce qu'elle voulait. Parce que, là encore, c’était plus facile de nier l’évidence.

Elle s'arrête et tu reprends ton souffle. Tu sens bien qu'elle est là, à te dire adieu. Tu hésites à attraper sa main, tu hésites même à bouger. Pourtant, tu devrais partir maintenant que les choses sont dites, qu'il n'y a plus rien que des débris. Satyne te le fait bien savoir. Ta présence n'est plus requise à ses côtés. « S'il te plait laisses-moi. » Seulement, toi, tu n'as pas l'intention de partir. Tu en es même loin. Un peu masochiste, tu veux être confronté à elle, comme si tu ne souffrais pas assez de t'apercevoir que tu n'es plus rien pour elle. Juste un minable, comme tant d'autre mec. Après tout n'en avait-elle pas côtoyé assez de ses minables pour les reconnaître avec facilité ? Tu ne vas pas prendre la fuite. Par peur de voir que c'est véritablement fini. Après tout, Satyne ne revient jamais en arrière, faisant tout à fond : comme toi. Alors que tu t'apprêtes à parler, c'est elle qui s'échappe. Sans bouger, sans même lever le petit doigt, tu la regardes se redresser et sortir du café. Les choses te semblent irréelles tout à coup et tu es pris de cours. Tu connais bien Satyne, tu la connais même parfaitement. Tu n'as pas besoin qu'elle te parle pour ressentir ses état-d 'âme. Elle a toujours été une évidence pour toi, et bien plus encore maintenant, même si tu ne sais pas d'où ça vient et pourquoi. Tu la suis des yeux et tu la vois passer devant la vitrine du café. Elle a le visage triste des mauvais jours... Tu ne peux pas rester comme ça, ni la laisser s'enfuir alors qu'elle t'a reproché de trop le faire. Tu t'empresses donc de te lever, tu laisses une somme d'argent sur la table (sans doute bien trop pour un simple cappucino) et tu files à l'extérieur. Rapidement, tu la rattrapes et tu te postes devant elle pour l'obliger à s'arrêter. Tu ne mesures pas vraiment ce que tu fais, tu ne sais même pas pourquoi tu lui cours après. Tes mains se posent sur ses épaules, comme pour l'interdire de bouger. Tu as toujours voulu qu'elle comprenne qu'elle devait disparaitre parce que c'était plus facile comme ça, mais t'es quand même là, a essayé d'arranger les choses. Tout ça à cause d'un jugement qu'elle n'aurait jamais porté en temps normal. Ou alors, c'est autre chose. Tu ne sais pas trop quoi faire et pendant une demi-seconde, tu te demandes s'il n'est pas mieux de la laisser partir, de la laisser te filer entre les doigts, toi qui n'as cherché que ça. Tu oscilles entre la facilité ou l'acharnement. Entre elle et toi. Et puis c'est là que tu vois les larmes couler sur ses joues.. Ton coeur manque un battement. Il n'a pas d'autre choix que de se stopper net dans ta poitrine. Ta gorge se noue, ton ventre aussi. Un voile de fébrilité se glisse devant tes yeux. Tu as toujours détesté la voir pleurer, la voir triste. Avant ses larmes te mettaient en colère parce que tu comprenais alors que quelqu'un lui avait fait du mal, que t'avais pas su la protéger. Elle te renvoyait aussi tes sentiments inavoués en plein visage comme si le simple fait de voir des larmes te disait que toi seul, pouvait la rendre heureuse. Mais c'était avant que tu disparaisses et aujourd'hui, tu comprends, tu vois, le fossé que tu as creusé entre vous. Oui parce que c'est toi qui a creusé consciemment, qui a érigé et défini ce trou et cette distance.

Lentement, tu t'approches d'elle. Ce n'est pas calculé, tu agis sous l'impulsion de ses larmes qui te font souffrir encore plus que ses mots. Tu attrapes son visage entre tes mains froides et tu plonges sans retenu en elle. « Je suis désolé.. » Une colère sourde gronde en toi. Pas contre elle, mais contre toi. Cette-fois ci ce n'est pas les minables d'avant qui viennent de la faire pleurer, c'est toi. C'est toi et uniquement toi. C'est nouveau. C'est pathétique. Et ca te fait mal. Tellement. Tu as toujours cru que jamais tu la ferais pleurer, que tu étais mieux que les autres, que tu étais unique et assez bien pour elle et finalement, tu n'es rien. Tu n'es qu'un con... comme n'importe quel autre mec.. « Je suis désolé d'avoir couché avec ta cousine, de l'avoir laissé. Je suis désolé que tu me vois comme un minable. Je suis désolé que tu crois que j'ai changé. Je suis désolé d'être parti..» répètes-tu, encore. Malgré tes excuses rien n'y fait, ses larmes ne cessent de couler et chaque seconde qui passe te fend le coeur un peu plus, plus profondément aussi. Alors, sans réfléchir, sans rien contrôler, tu poses tes lèvres sur les siennes. Tu l'embrasses comme si ta vie en dépendait, comme si tu pouvais aspirer sa peine et ses malheurs, comme si tu avais le pouvoir de faire que ses larmes s'arrêtent. Le gout salé de ses gouttes de tristesse se mêlent au gout sucré de sa bouche et tu prends un instant à aimer ça. Tu as longtemps rêvé de l'embrasser, de faire autre chose que de la regarder de loin, mais jamais, tu n'as imaginé le faire pour te faire pardonner. Instinctivement, un peu trop à bout de souffle, tu recules ton visage du sien. Tu t'attends à ce qu'elle te gifle, mais du moment qu'elle arrête de pleurer, ça t'importe peu. Tu veux juste qu'elle soit moins triste. « S'il te plait, arrête de pleurer.. » Tu essuies du bout de pouce une larme et tu baisses les yeux sur ses mains qui se sont posées sur ton torse. Et c'est là que tu la vois. Cette bague. Cette chose qui brille à tes yeux. Tu fronces les sourcils et tu ne remontes pas les yeux sur Satyne. Tu restes figé, fixé à cette bague qui finit de t'achever complètement.. Tu oublies même que quelque seconde plus tôt, tu étais en train de l'embrasser, comme t'avait toujours voulu le faire. Non, tu réfléchis trop. Bague. Annulaire. Main gauche...