Une croix derrière l’oreille droite, été 2002, 15 ans.
Naître à Memphis n’est certainement pas la meilleure chose que l’on puisse souhaiter à un enfant. Dans le quartier de Belle Meade, toutes les maisons se ressemblaient. Peu spacieuses, sans coquetterie apparente et principalement habitées par des familles nombreuses et en difficulté. La famille Hawthorne ne s’était jamais plaint jusque là, bien que vivant dans une misère assez certaine. Composée d’un père au chômage, d’une mère ouvrière et de deux jeunes filles, Lexie et Janice, la famille avait toujours réussi à s’en sortir. Du plus loin qu’elle s’en souvenait, Lexie n’avait jamais connu son père en tant que travailleur et le sujet restait tabou à la maison. Admettre que la femme était la personne qui faisait vivre toute une famille était loin d’être glorieux pour un homme tel que Lance. Le Sud des Etats-Unis n’avait jamais été connu pour la grande intelligence de ses habitants, ici, c’étaient encore les vieilles traditions qui demeuraient. Ainsi, bien qu’âgée de seulement dix ans, la petite Lexie était consciente de son rôle au sein de la maison : répondre aux demandes de son père, aider sa mère et s’occuper de sa petite sœur. Malgré cette vie peu enrichissante, la petite ne s’était jamais plaint, vivant paisiblement dans une famille où elle se sentait aimée.
Cependant, cette routine dans laquelle les Hawthorne vivaient depuis une dizaine d’années se brisa un matin d’hiver. Meredith était enceinte. Bien que la nouvelle fut positivement accueillie par toutes les femmes de la maison, ce fut pas le cas concernant le père. Un nouvel enfant était synonyme de dépenses supplémentaires et diminuerait de nouveau leur mode de vie déjà peu luxueux. Malgré les réprimandes de son mari, il fut question de garder l’enfant, avorter étant toujours mal vu par de nombreuses familles du Sud. Seulement un problème majeur se présenta à la naissance du garçon, Adriel de son prénom, était malade. Une malformation du cœur selon les médecins, une maladie malheureusement peu rare. Au plus grand damne du paternel, la survie de l’enfant engendra des dépenses phénoménales. Malgré tout, les Hawthorne restèrent soudés. Face à la maladie de plus en plus dévastatrice de son frère, Lexie devint une enfant plus discrète et se renferma bien rapidement dans une foi inébranlable, priant chaque matin et chaque soir pour la santé et le rétablissement de son petit frère.

Adriel sur le cœur, hiver 2002, 16 ans.
Le Noël de l’année deux mille deux avait été bien difficile pour la famille. Les dettes s’accumulaient et ce malgré le travail acharné de la mère, cependant chaque enfant eut la joie de recevoir un cadeau de la plus grande simplicité de leurs parents. Dans le fond, Lexie s’était toujours moqué de leur pauvreté et se satisfaisait davantage de l’amour qui les unissait tous.
La nuit la plus froide de cet hiver, Adriel fut amené en urgence à l’hôpital de la ville. Entre les personnes malades et les blessés par balle fréquents dans une ville telle que Memphis, la priorité n’était pas forcément au jeune garçon encore conscient. Néanmoins, les choses se précipitèrent. Après de longues heures, l’enfant fut finalement pris en charge tandis que son cœur faiblissait de minutes en minutes. Lexie et Janice furent immédiatement contraintes à rester dans la salle d’attente, la présence d’enfants n’étant pas autorisée au bloc opératoire. Ce furent les heures les plus longues de la vie de jeune adolescente. Attendre dans la plus grande impuissance. Et une chose était certaine, jamais elle ne serait capable d’oublier le visage de sa mère à son retour. Vide, blanc. L’absence de son père fut tout autant révélatrice de ce qu’il se passait. La maladie de son petit frère avait eut raison de lui, comme les médecins l’avaient prédit. Son petit cœur n’était plus assez fort pour faire vivre un garçon de son âge et de sa taille.

Un oiseau en envol sur l’aine droite, printemps 2003, 16 ans.
Depuis ce jour, la famille Hawthorne ne fut plus du tout la même. Une personne en particulier changea radicalement, détruisant le peu de bonheur que la perte d’un enfant avait pu laisser. En effet, Lance devint un homme froid et distant avec tout le monde et tout spécialement avec sa femme qu’il jugea responsable de tout ce qui leur était arrivé. Au fil des jours, il sombra dans l’alcool et devint un homme sans vie, ivre à longueur de journée et surtout, violent. Chaque maladresse pouvait le lancer dans un état de colère incontrôlable, laissant les enfants dans une panique constante. Jamais Lexie n’avait ressenti pareil sentiment que d’être apeurée au sein de sa propre maison. Leur vie n’était désormais ponctuée que de cris, de pleurs et de coups. Bien heureusement, si l’on pouvait dire cela ainsi, aucune des deux jeunes filles ne fut victime des excès de violence du père. Meredith quant à elle n’y échappait pas. Il n’y avait pas un jour où Lexie ne désirait pas répondre à son père, mais la peur était bien trop importante.
Un après-midi cependant, alors que sa mère ne répondit pas dans les secondes qui suivirent à son mari, les choses tournèrent mal. Imbibé d’alcool comme à son habitude, Lance frappa sa femme, devant ses enfants impuissantes. Pour la première fois, Lexie osa réagir, lasse de voir sa mère souffrir en dépit de son innocence. Ce qu’elle n’avait pas prévu néanmoins, lui arriva dans la figure. Violemment et douloureusement. Son père l’avait frappée pour la première fois, et il ne faisait aucun doute qu’il ne lui resterait aucun souvenir de cela une fois l’alcool évaporé. Tandis qu’il la frappa une nouvelle fois pour la punir de son insolence et de son manque de respect envers l’homme de la maison, Lexie tenta de trouver une image positive autour d’elle. Un point d’attache pour l’aider à surmonter la douleur et croire en un échappatoire possible. C’est ainsi, que sous les coups de son paternel, ses yeux restèrent fixés sur un oiseau visible de la fenêtre. Le soleil faisait briller ses ailes et soudain, il s’envola.

Le nombre 21 en chiffres romains sur l’aine droite, hiver 2008, 21 ans.
S’échapper du domicile familial devint alors une obsession pour la jeune adolescente. Vivre dans une famille brisée comme la sienne était un fardeau et aucun évolution ne lui semblait possible. N’étant cependant pas majeure, cette hypothèse lui parut dans un premier temps bien folle. Elle n’avait ni argent, ni famille connue capable de l’héberger jusqu’à l’arrivée de sa majorité. C’est donc du mieux qu’elle put, que Lexie se força à vivre de longues années encore en compagnie de son père. Peu motivée par les études, elle se contenta de prendre soin des deux personnes qui lui étaient encore très chères : sa mère et sa petite sœur.  Ses journées furent rythmées par des gestes automatiques, ranger, nettoyer, faire à manger, économiser.
Comme tous les ans, on ne fêta pas l’anniversaire de Lexie, d’abord par manque de gaieté et ensuite par manque d’argent. Seule la petite Janice vint offrir à sa sœur un cadeau qu’elle lui avait confectionné. Dans son égoïsme qui l’a poussait à partir de Memphis, Lexie réalisa alors qu’elle en avait oublié sa sœur. Son sang. Tout aussi victime qu’elle de la misérable vie qu’elles subissaient. Cependant, il était désormais trop tard pour retourner en arrière et pour la première fois de sa vie, la jeune Lexie agit avec lâcheté. Sans argent, il lui était impossible de prendre soin de sa petite sœur. Elle n’était même pas sûre de pouvoir sans sortir elle-même, la meilleure solution restait donc de l’abandonner à son sort dans la maison familiale. Malgré tout le mal que cela pouvait lui faire. C’est ainsi que pendant la nuit, alors que toute la famille Hawthorne dormait, la jeune blonde quitta la maison avec pour seul bagage, un sac à dos contenant le peu d’économies qu’elle avait fait. Sans regarder en arrière, Lexie marcha dans les rues de sa ville natale en direction de la station de bus où l’un d’entre eux l’emmènerait à New York.

« Fear doesn’t shut you down, it wakes you up. » entre les omoplates, automne 2012, 25 ans.
Après de nombreuses semaines à errer ici et là, Lexie fit la rencontre d’un homme à peine plus âgé qu’elle qui la prit sous son aile. Propriétaire d’un bar, il l’engagea en tant que serveuse la nuit et lui offrit un endroit où vivre au dessus de son lieu de travail. En échange de tant de générosité, il allait de soit que Lexie ne recevait qu’un mince salaire. Cependant, l’alcoolisme naissant de la jeune femme commençait à poser problème à son employeur, conscient de sa consommation excessive dans son propre bar. Malgré tout, grâce à l’amitié qui s’était créée entre eux, il continua à prendre soin d’elle. C’est ainsi qu’un nouveau poste lui fut proposé, en tant que videuse. Si beaucoup ne croyaient pas en son potentiel au début, Lexie convaincu bien rapidement l’assemblée lors de démonstrations de forces. Néanmoins, elle n’en restait pas moins égale à elle-même. Une alcoolique qui avait la forte tendance de se mettre dans des situations difficiles, pour se prouver qu’elle n’était pas encore morte et qu'elle pouvait encore avoir peur d'y laisser sa peau. Bien heureusement, elle l’avait lui, toujours prêt à lui sauver la mise.