Il n’y avait que de vieux bâtiments et des routes sinueuses sans aucun panneau d’indication. Il devait suivre à présent d’étroits passages, des débris de verre parsemaient le bord des trottoirs, des débris de bouteilles d’alcool éparpillés sur le goudron. Derrière lui, brusquement, la lune se montra, entre deux nuages noirs déchiquetés par une rafale. En dehors de cette auberge, quelques hommes affalés sur des chaises bancales s’entretenaient à voix basse semblant concocter des plans farfelus. Ils buvaient comme de vieux truands, fumaient à n’en plus finir, s’échangeant des liasses de billets en jurant de temps à autres.

A l’intérieur de la taverne même, les hommes paraissaient ivres et rustres, quelques-uns tentaient de dissimuler entre leurs jambes des armes, effort pitoyable puisque la vue de Mickael lui permettait de scruter les moindres détails de la pièce et des occupants. Toutes les bouches à l’entour riaient, criaient et buvaient. La salle ovale fut vaste, cependant, les vieilles tables étaient si rapprochées et les éclopés si nombreux, que tout ce que contenait la taverne semblait entassé pêle-mêle sans ordre, ni harmonie.

Etaient disposées sur des tables moisies quelques bougies dont la flamme dansante projetait des ombres démesurées et grotesques sur chacun des murs de ce cabaret sordide. Mais ce qui constituait le véritable luminaire de la taverne fut un feu dans une cheminé placée au fin fonds de la pièce autour duquel des femmes aux mœurs fragiles riaient et courtisaient quelques vieillards qui colportaient une odeur nauséabonde. Cette cave semblait humide et le feu devait sans doute être ratissé toutes les demies heures afin de le maintenir en vie, enfin ce fut ce qu’il en avait déduit, en pénétrant dans ce lieu vil et hideux mais ouvert à n’importe quelle heure de la nuit. La cheminée fut immense à manteau sculpté, quelques ustensiles de cuisine furent accrochés de manière déséquilibrée sur la hotte, entre autre, divers casseroles et poêles engraissées.

Après un rapide coup d’œil, il s'approcha, méfiant, du comptoir afin de commander un pur whisky et un cigare. Il fit grincer sur le parquet les pieds du tabouret qu’il tira vers lui.
Une fois assis, inconfortablement, il distingua dans cette multitude d’individus, un personnage qui attira de manière fulgurante son attention. Le jeune homme, revêtu d’un pantalon grisâtre, d’une chemise dont la couleur s’accordait parfaitement à celle du feu flamboyant et d’un blouson en cuir noir, dégageait une odeur méconnue pour notre cher libertin. Elle ne correspondait pas aux effluves qu’il humectait quotidiennement à longueur de temps.

Un brouhaha plus soudain le déconcentra, son regard fixé sur cet étranger vrilla vers une toute autre direction. Un homme robuste à la carrure certes imposante mais en aucun cas terrifiante, du moins selon son propre jugement, se redressait face à une faible jeune femme, qui à terre, tremblait comme une feuille, nettoyant sa bouche dégoulinante de sang avec sa manche. C’était à n’en point douter et eu égard à l’ambiance méprisable de cet endroit, une situation qui pourrait être qualifiée d’ordinaire, d’usuelle dans ce quartier.
L’homme qui avait captivé l’attention de Mickael se mouvait en direction de cette rixe qui l’indifférait totalement. Cependant, il désirait en connaître davantage sur cet étrange individu qui d’une certaine manière lui ressemblait. Sa peau était d’une pâleur effroyable et son physique n’était pas si différent du sien. Sa démarche était souple, agile, ce qui redoubla ses soupçons.

Brusquement, le grand gaillard, le fripon qui n’inspirait que de la pitié , vociféra des injures sur la jeune fille. Il fut le plus bruyant dans ce taudis bien que les cris l’assourdissaient déja depuis de longues minutes, cela ne fit qu’accroître le vacarme et par conséquent, son calvaire. .
Néanmoins, ce fut avec prudence qu’avant de porter main-forte au gentilhomme qui s’était déplacé vers la jeune victime, dévisageant les deux compagnons placés juste à côté de ce maraud. Joufflus, gonflés par l’effet de l’alcool, la panse pendante par-dessus leurs pantalons, dotés d’une ceinture pleine de poignards et de digues, il se mit à sourire face à la facilité de venir à bout de ce périple. Il se leva sereinement de sa sellette pour se diriger vers les trois scélérats. A peine frôla-t-il l’un d’entre eux qu’un coup subitement parvint vers le gentilhomme. Souhaitant soutenir ce dernier, non pour apporter son appui envers la demoiselle puisqu’il méprisait les femmes en quelque sorte depuis de longues décennies, mais plutôt pour en connaître davantage sur l’individu en question, Mickael intercepta le coup en bloquant l’avant-bras du molosse d’une seule main.

Ce dernier hurla de rage et de frustration, c’est la raison pour laquelle le maraud leva son autre bras, poing serré en direction de son visage. La lenteur à laquelle l’ivrogne effectua ce geste laissait amplement le temps au jeune libertin pour happer sa gorge et le plaquer violemment avec une force incontrôlée contre le mur de ce taudis. La respiration bloquée, suffoquant, les yeux de ce soi-disant « tigre » tournèrent sur leur orbite avant que le corps de ce dernier ne s’effondra sur le sol, inerte.Mickael s'assura néanmoins au préalable que le fripon n'était pas décédé. Etant nouveau dans la région , il souhaitait demeurer discret bien que cette altercation n'allait pas l'y aider. Il n’eut cependant pas le temps de faire volte face que les deux gardes du corps, accompagnant cet ivrogne, bondirent derechef sur l’homme qui fascinait tant le libertin. Ce dernier laissa tout loisir à son confrère pour discipliner ses deux hommes.

Une chose beaucoup plus intéressante le préoccupait. Il fut surpris d'en découvrir l'origine. Cette odeur lui était peut-être plus familière qu'il n'y paraît. Humectant plus intensément l'air environnant, évacuant les odeurs de fumée de cigarettes , il se rendit compte, peu après, que l’homme en question n’était autre qu’un être de la même espèce que lui. En effet, il n’avait jamais pu croiser auparavant d’autres vampires que sa propre créatrice mais cette senteur ne pouvait pas être occultée, même après plusieurs siècles … C'était une senteur si particulière qu'elle ne put etre détectable que par les seuls éspèces qui hantaient le monde de la nuit. Mickael s'appuya dos contre le mur, marchant sans même s'en importuner sur la main du dodu boursouflé évanoui à ses pieds. Il s'alluma une cigarette en expirant la fumée tout en contemplant le jeune homme.

Puis, ses yeux se fixèrent sur la jeune fille imprudente et irréfléchie. Son jeune âge devait justifier ses paroles, néanmoins, c'est en continuant d'expirer la fumée de sa cigarette qu'il haussa les yeux au ciel avant de la toiser, d'un air un peu plus austère:




-Ma chère demoiselle, vous devriez porter une attention toute particulière aux paroles que vous prononcez, surtout dans ce bar, en pleine nuit, au milieu de tant d'hommes, ne croyez-vous pas ?

C'est en lui souriant, néanmoins, qu'il lui tendit sa main afin de la relever. Puis,se retournant rapidement, il profita du spectacle qui se déroulait devant ses yeux afin de jauger de la force de cet autre vampire qui le subjuguait. Les deux colosses bondissaient sur ce dernier tandis qu'il écrasait sa cigarette sur le sol poussiéreux et crasseux de cette auberge.

OKAY BY JUNE