« C’est une fille. »
Les premiers mots que tu as entendus lorsque tu as plongé dans le monde lumineux, le monde de l’extérieur. Suivirent ton prénom, Avriel, en honneur à ta grand-mère paternelle décédée un an avant, et nos mots d’amour pour toi, mon ange. Tu ne tardas pas à te faire une place dans la maison déjà bien remplie par John, ton grand frère et Angela, ta sœur aînée. Et puis nous, tes parents. Je me souviens que je travaillais encore à la boutique lorsque tu es née. Il faut dire qu’on avait de la place dans la maison de Santa Barbara. Angela était en pleine crise d’adolescence et John venait de passer au CE2. Quand à ton père, il travaillait dans un bureau d’une grande compagnie. Je crois bien que ton arrivée bouleversa toute notre organisation.

« Voilà madame, c’est la deuxième fois qu’Avriel est prise en train de tricher. La prochaine fois, c’est conseil de discipline. »
Hmm. Oui, Avriel, tu n’as jamais été très douée pour réviser et apprendre tes leçons correctement. Non, toi tu écoutais de la musique à fond dans ta chambre pour ensuite aller faire tes examens sans avoir relu ton cours. Et ce dès tes sept ans, je me souviens très bien : c’est même grand-père qui t’avais montré comment on faisait pour régler la petite radio du grenier qu’on avait descendu exprès pour toi. Mais tu sais Avriel, tu nous as donné du souci à nous deux avec ces rendez-vous fréquents chez la directrice. Nous t’avions inscrit dans une très bonne école de la ville. Visiblement, tu y allais pour voir tes amies et non pour étudier consciencieusement. Il y eut des soirées mouvementées, entre toi et ton père. Des disputes qu’y n’en finissaient pas. Mais c’est plein de disputes un bonheur, n’est-ce pas ma chérie ?

« Ne pleures-pas chérie. »
Je t’avais dit ça un soir d’été. Papa venait de quitter la maison sur un coup de tête. Tu devais avoir environ douze ans. Je te consolais parce que tu pleurais, moi aussi d’ailleurs. J’avais mis ma robe qui sentait le muguet ce soir-là. Angela avait décidé de s’enfermer dans sa chambre et John pleurait tout seul dans le salon. Nous étions désemparés. C’était la première fois que nous nous disputions ainsi. Ton père m’avait trompé avec une autre le jour de mon anniversaire. Le gâteau fondait sous la lumière du lustre et les guirlandes n’avaient plus d’intérêt. Je l’avais découvert et il avait fini par me gifler. Je crois bien que je demandai le divorce le lendemain. Mais j’étais blessée au plus profond de moi. J’étais une fille très sûre d’elle, comme toi.

« Vous ne pouvez pas entrer. »
Les lumières aveuglantes, les sirènes qui me faisaient tourner la tête. Deux heures du matin. Je ne tenais plus en place. Refuser de voir son propre fils dans les moments difficiles, c’est quelque chose d’impossible pour une mère. Tu avais des convulsions toi aussi. Les policiers se succédaient, la maison était encore toute éclairée, le quartier était alerté. Jamais je n’eus autant pleuré de ma vie. Je te serrai dans mes bras, toi et Angela. John s’était fait renverser par une voiture deux ans après le divorce, et il était mort sur le coup, à à peine 22 ans.


« Putain, mais t'es conne ou quoi ? »
Tu avais volé le petit copain de ta meilleure amie et je dois reconnaître que ce n'était pas gentil. Mais comme tu disais, les sentiments ça ne se contrôle pas. Depuis le collège tu fréquentais cette jeune fille. Vous étiez si unies, et pourtant, vous ne vous reparlèrent plus depuis ce jour. Abandonnée et déçue, tu avais rompu avec ce garçon quelques minutes après puis tu étais rentrée en pleurant à la maison. Tu n'avais rien voulu me dire. Mais je m'étais renseigné auprès d'Angela, ta grande sœur chérie à qui tu confiais tout. Plus âgée de quatorze ans, elle était déjà mariée mais vous vous disiez toutes vos petites histoires par téléphone. Personnellement, cela ne m'étonna pas plus que ça. Je savais que tous les garçons fondaient devant tes beaux yeux bleus.

« Jones. Avriel Elizabeth. »
La remise des diplômes. Nous étions tous réunis, y compris grand-père qui avait fait le déplacement. Déçue de voir ma petite dernière devenir adulte mais heureuse de te voir prendre ton diplôme. Cela faisait bien quatre ans que tu suivais ces études à l'université de Santa Barbara. Je te voyais bien, tu avais les larmes aux yeux. Mais tu prenais un nouveau chemin dans la vie.

« Maman ? Je vais présenter l'émission de 18 h à la radio. »
Mon étonnement fut tel que je ne posai pas les bonnes questions au bon moment. J'eus tout de suite peur que cela empiète sur ton avenir. Mais tu avais ce regard des combattantes, toi qui n'avais jamais pu faire grand chose pour assurer le bonheur de la famille. J'étais vraiment partagée. Je n'avais souhaité que ton bonheur durant ces vingt-trois années de vie. Tu venais de sortir de la fac et hop, tu parlais à la radio ! Tu me racontas des louanges sur cette émission et le soir de la première, j'écoutai. Je me rendis compte que c'était ce que tu désirais plus que tout au monde, toi qui avais toujours eu du bagout et un sens de l'humour inné.
Et puis les mois passèrent et tu te retrouvas un beau jour à présenter une émission musicale sur une petite chaîne. Envoutés par ta voix ou juste curieux, tout les grands du monde de l'audio-visuel avaient eu envie de voir à quoi ressemblait celle qui faisait des blagues acidulées tous les soirs. Ils n'avaient pas été déçu puisque les contrats s'enchaînèrent. Je ne pus faire autre chose que t'admirer et t'encourager plus que jamais. Tes études n'avaient servi à rien mais peu importe, j'étais épanouie et toi aussi.

« Je t'appellerai tous les jours ! »
Tu étais sur le pas de la porte, dans ta petite robe à fleurs roses. Un sourire illuminait ton visage car tu devais être pressée de partir. Tu devais te rendre à New York pour animer des soirées people. Et il fallait l'avouer : tu rêvais de partir pour Manhattan. Deux-trois bises échangées, des encouragements mutuels, un claquement de portière et tu étais partie, me laissant seule sur le pas de la porte, telle une vieille mémé. Tu arrivas le lendemain. Tu m'appelas comme tu l'avais promis et cela me réchauffa le cœur. Bizarrement, je n'avais plus aucune inquiétude : tu n'étais plus ma petite Avriel mais une grande Avriel qui traçait sa petite vie toute seule. Tu me promis à ce moment-là que tu reviendrais me voir souvent. Je t'attendrai, ma puce. ♥

→ Cathleen D. Jones.

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